lundi, décembre 29, 2014

Comment j’ai coulé (ma vie sociale)

Le Plongeon (The Swimmer) - Franck Perry & Sydney Pollack, 1968



Un homme, la cinquantaine bien tassée, mais qui en paraît pourtant trente, traverse un bois et arrive devant une piscine : il plonge, nage quelques brassées et en ressort de l’autre côté. On lui tend un verre. C’est qu’il ne s’agit pas de n’importe qui et de n’importe quelle piscine. Elle appartient à des amis de longue date de cet homme, Neddy Merrill (Burt Lancaster, plutôt beau-gosse) qui semble n’avoir pas fait acte de présence depuis bien longtemps. Des retrouvailles très chaleureuses mais très vite interrompues. En effet, ces gens doivent rejoindre d’autres amis. Lui préfère sa géniale trouvaille : traverser le comté à la nage, à travers les piscines de chacun des voisins, jusqu’à chez lui. Le plan semble idéal dans un cadre si idyllique : lui si beau et populaire, apprécié de ses voisins, et cette banlieue boisée, uniquement remplie de maisons individuelles avec piscines dont les propriétaires sont tous amis et ont tous réussi avec panache.

Le film, « swimming pool movie » comme on parle d’un « road movie », semble construit comme un conte à étapes, où chaque étape rapproche un peu plus son (anti-)héros de la réalité telle qu’elle existe (et du présent – en effet, si on lui dit au début que cela fait deux ans qu’on ne l’a pas vu, les rencontres suivantes semblent avoir un souvenir de plus en plus récent de lui). Le film débute avec un personnage qui arrive au monde tel qu’il imagine celui-ci, semblant n’avoir aucun souvenir de sa vie avant le premier plongeon, éludant chaque fois la question de son absence prolongée, ne semblant pas comprendre quand on lui demande un remboursement. Et le film décrit la progressive victoire de la réalité telle qu’elle est sur la réalité telle qu’elle est fantasmée par ce personnage. On a vu ce schéma repris dans de grands films récents : nous pensons ici surtout au Labyrinthe de Pan (dont notre critique se fait attendre mais qui adviendra un jour, nous en faisons ici la promesse). Est exemplaire de ceci l’épisode avec le jeune enfant au soda, deuxième accroc au plan idyllique. D’abord, magnifique rencontre avec un gamin esseulé, mais la piscine est vide. Qu’à cela ne tienne, Neddy se décide à inventer sa nage à travers la piscine vide, dans une séquence jumelle de la séquence finale de tennis dans Blow-up (film absolument contemporain, tourné pratiquement en même temps) : « If you believe in something hard enough, it’s true for you » dit-il à l’enfant.

Le film ne fera, cela dit, que contredire autant que faire se peut cette maxime. Il ira même plus loin : chaque fois que le pire semblera atteint, une nouvelle écharde s’agrippera aux pieds du personnage. D’abord le rejet de l’ex baby-sitter devenue superbe jeune fille (Janet Landgard), puis le rejet dans une fête autour de la piscine, puis le rejet de la femme aimée (ces épisodes de plus en plus désabusés auprès d’anciennes amours nous renvoient à Broken Flowers, critiqué ici : http://ukhbar.blogspot.fr/2009/04/broken-flowers-jim-jarmusch-2005.html). L’épisode de la piscine municipale mériterait presque un paragraphe à elle toute seule : à ce moment du film, on commence à se poser des questions sur la survie du personnage, qui frissonne à chacun de ses arrêts, qui semble de plus en plus perdu et abandonné. Évidemment, la situation idyllique n’est plus, il n’y a plus là qu’un enfer s’acharnant sur Neddy, lui interdisant d’abord l’entrée pure et simple dans la piscine, le voyant obligé de quémander 50 cents aux personnes se présentant à l’entrée. La traversée de la piscine s’avère la pire épreuve possible pour Neddy : enfer rempli à ras-bord de nageurs et d’enfants qui crient, devenu absolument intraversable, le laissant muet et luttant réellement pour sa survie. Inutile d’en rajouter sur la séquence suivante où, enfin réchappé de l’horreur aquatique, il se retrouve insulté publiquement par deux couples d’anciens amis qu’il se verra obligé de fuir par une escalade aussi chaotique que pathétique. Son périple se termine en forme de plainte agonisante sous une pluie diluvienne impressionnante, devant la maison familiale abandonnée et lui restant interdite.

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