mercredi, décembre 31, 2008

Classement 2008

1- Sparrow (Johnnie To)2- Two Lovers (James Gray)
3-
Wall-E (Andrew Stanton, Pixar)
4-
No Country for Old Men (les frères Coen)
5-
La Vie moderne (Raymond Depardon)
6- Forgetting Sarah Marshall (Nick Stoller, Apatow Family)
7-
The Happening (M. Night Shyamalan)
8-
Entre les Murs (Laurent Cantet)
9-
Indiana Jones 4 (Steven Spielberg)
10-
Wanted (Timur Berkmambetov)

Inoubliable, le Sapin de l'année est attribué à
Wall-E.

De l'autre côté, la Dinde de l'année est attribuée conjointement aux deux films de Hong Sang-Soo : Night and Day et Woman on the Beach.

jeudi, octobre 23, 2008

Not in the mood for love, not anymore...

Les Cendres du temps (Dung che sai duk) - Wong Kar-Wai, 1994


Ma désaffection au cinéma de Wong Kar-Wai, ça fait maintenant un long moment que je la sentais venir. Quand je repensais à son cinéma (exception faite du merveilleux 2046, voire de son petit satellite La Main), je ne supportais plus ce spleen constant, cette mélancolie à propos des histoires d'amour qui passent, que l'on rate, que l'on aurait aimé ne pas rater mais qui, quand elles nous reviennent dessus, ne nous empêche pas de les rejeter une fois encore. Tout ça, pour le dire clairement, ça me fatiguait de plus en plus. Déjà, ma première vision d'In the mood for love, peu après l'immense choc esthétique que fut 2046 lors de la première vision, me l'avait fait paraître particulièrement fade. Certes, comme toujours chez Wong Kar-Wai, il s'agissait d'un beau film, superbement cadré, doté d'une bande-son classieuse. Mais déjà, je me sentais extérieur à cette histoire terrible d'amour soi-disant impossible entre Tony Leung et Maggie Cheung.

Dans 2046 et dans La Main au moins, cette même idée (toujours aussi détestable) était relayée par un passage à l'acte physique qui, de fait, pouvait permettre de faire regretter la relation une fois celle-ci passée. Ca n'est pas la fin du monde, mais c'était déjà un peu mieux. Toutefois, plus que cela, ce qui rend ces deux films si indispensables, c'est bien l'apport du meilleur directeur de la photographie, à son sommet. Avec Christopher Doyle faisant des merveilles, WKW devenait le maître du plan dessiné certifié sixties : le maniérisme élevé au rang d'exemple artistique. De fait, et sans Christopher Doyle et les nuits du Hong Kong des années 1960 dans My Blueberry Nights, la désaffection s'en était ressentie, le film ayant fait un bide tout autant critique qu'au niveau des spectateurs.

Et pourtant, j'en reviens maintenant à Ashes of Time, je serais bien incapable de lui reprocher quelque chose de spécial (quelque chose qui lui serait propre par rapport aux autres films de WKW), alors qu'il s'agit sans doute du film le plus fou et le plus libre de WKW. Ce film m'a en fait permis d'appréhender Wong Kar-Wai dans sa totalité. Après avoir vu ces quelques derniers films, il me restait encore quelques espoirs (bien maigres, autant l'avouer) sur le début de sa carrière, sur un cinéma qui aurait été un brin moins fleur bleue et moins porté sur le romantisme désespéré. Et que nenni, je m'aperçois que le cinéaste hongkongais a toujours été comme ça.

Ainsi, et j'en suis un peu triste, Ashes of Time se retrouve obligé de porter le lourd fardeau du premier Wong Kar-Wai détesté objectivement et pour des raisons claires et distinctes. Son aspect trop déconstruit (et ce malgré une refonte du montage pour éclaircir l'histoire dans cette version redux - j'imagine à peine ce que devait être la version originale), l'impression de revoir dix fois la même histoire avec des personnages différents (dont au moins quatre dans celui-ci) et toujours ce spleen qui achève de rendre les personnages pitoyables et, inévitablement, drôles (tout autant que ces multiples plans surexposés et colorés n'importe comment, rappelant le pire de l'esthétique des années 1980) ont achevé de le rendre insupportable à mes yeux. Je pourrais même en rajouter une petite couche pour lui reprocher de n'être qu'un ersatz de "wu xia pian", où les combats de sabre - finalement peu nombreux - se voient remplacés par les interminables passages de questionnements existentiels des différents personnages.

Triste rôle pour ces Cendres du temps qui n'auront jamais aussi bien porté leur nom : elles indiquent qu'il existe sans doute un temps donné pour apprécier Wong Kar-Wai et, qu'une fois ce temps dépassé, il n'en restera rien, pas même un regret.

lundi, juillet 28, 2008

Too Late to Quest

Indiana Jones 4 - Steven Spielberg, 2008


Alors que personne ne s'y attendait, près de vingt ans après La Dernière Croisade, Georges Lucas (le scénariste-producteur) décide de convaincre Spielberg de rempiler pour un quatrième volet des aventures du plus célèbres des archéologues aventuriers. Avant le film, on avait de sérieux doutes, à voir ses derniers (depuis à peu près A.I.), sur comment le réalisateur américain allait pouvoir revenir au blockbuster fun et sans prises de tête, après sept ans de films plus "adultes".

La réponse nous sera donnée très rapidement, Spielberg n'ayant jamais été connu pour vouloir jouer au plus vicieux avec son public. Avant même le premier plan du film, Spielberg nous affirme donc que ce film sera placé sous le signe de la légèreté et du vicié. Le logo de la Paramount, qui était au début de chaque Indy fondu avec une montagne, est fondu ici avec une... motte de terre d'où sort une marmotte. Et tout est déjà dit : Spielberg ne peut pas revenir à Indiana Jones avec sérieux, quand il est allé jusqu'à La Guerre des Mondes : il n'y a pas de retour possible.

Alors le pauvre Indiana Jones (the same old Harrisson Ford) se retrouve en pleine Guerre Froide, lui qui n'avait connu que la lutte contre les nazis. Et, comme pour enfoncer le clou, Indy est à la traîne, enfermé dans le coffre d'une voiture du KGB, comme engoncé dans une époque qui n'est plus la sienne. Prisonnier puis poursuivi par les Soviétiques menés de main de maîtresse SM par Cate Blanchett, il se retrouve très rapidement dépassé dans la quête invraisemblable des crânes de cristal, qui le mènera, après moultes aventures, jusqu'à l'Eldorado. Le docteur Jones, qu'on croirait en préretraite, ne fera dans cet épisode qu'arpenter un chemin déjà foulé par un autre scientifique (John Hurt).

En effet, la quête n'est ici qu'un prétexte. C'est pour Spielberg l'occasion de rendre hommage à tout son cinéma pré-2000, l'époque où il était l'emblème du blockbuster joyeux et insouciant, l'époque des précédents Indiana Jones. Le Royaume du Crâne de Cristal n'est pour une grande partie que ça : un jubilé désabusé certes, mais tout à la fois fun et kitsch. En effet, le film n'arrête pas, les péripéties se succèdent comme les cascades pour l'équipée (on passe par une explosion nucléaire, un combat au fleuret en pleine jungle par voitures interposées, l'attaque d'une colonie de fourmis et même, ultime hommage, l'envol final d'une soucoupe extraterrestre). Tout cela fait parfois un peu too much, mais qu'à cela ne tienne, on pense au meilleur produit du "blockbuster fun" récent : Transformers, produit par Spielberg himself et on se dit qu'il s'agit peut-être là d'une remise de flambeau de la part de Steven. Du film de Bay, il récupère également Shia LaBeouf, parfait avatar de James Dean.

Enfin, c'est l'occasion pour Spielberg d'affirmer ce qui l'intéresse plus que tout de nos jours : les retrouvailles et la création d'une relation entre un père et un fils et, comme de plus en plus régulièrement sur nos écrans, le mariage final entre Dr. Jones et Mrs. Ravenwood (Karen Allen, récupérant elle aussi son ancien rôle). Et Spielberg de se faire sage stoïcien, paraphrasant peu ou prou Sénèque, regrettant le temps perdu. Il l'a rarement été mieux.

dimanche, juillet 13, 2008

Sooner or Later

(Le Labyrinthe de Pan)
(Batalla en el cielo)
(25th Hour)
(The Break-up)
(Ghost Dog)

mardi, juin 24, 2008

En rejoignant Jésus

Le Chant des Oiseaux (El Cant dels Ocells) - Albert Serra, 2008


Des personnes âgées dans un désert, trois vieux errant dans des vallées escarpées, un pays "soi-disant plat" se plaint l'un d'entre eux, une couronne sur la tête comme les deux autres. Pendant ce temps, une femme et un homme vivent dans des ruines, ils échangent des banalités, elle en catalan, lui en hébreu. Au fur et à mesure, on comprend : la longue marche tortueuse de ces trois, c'est avec l'apparition de l'ange Gabriel(le), féminisé pour l'occasion, qu'elle prend son sens. Le fils du divin est né, leur rôle sera d'aller jusqu'à Lui, Lui offrir leur présence et des présents. Toutefois, dans la tête du réalisateur Albert Serra, cette recherche de l'étable de Bethléem n'est pas aussi aisée qu'on pouvait le penser en lisant les dix lignes du passage biblique. Comme pour son premier film, Honor de Cavalleria, le catalan s'applique ici à inscrire son film entre les lignes des grands écrits : d'abord entre celles du premier roman moderne, et maintenant entre celles du premier de tous.

Et tout comme Quichotte n'était l'excité de tous les instants que l'on aurait pu penser en lisant Cervantès, les rois mages n'arrivent pas au chevet de Marie facilement. Il s'agira bien plutôt pour eux d'une interminable voyage dans le désert de Galilée. Pourtant, il n'y a jamais de dramatisation d'un événement, tout ce qui se passe dans ce film est anti-spectaculaire au possible. On se contente souvent d'apprécier la merveilleuse beauté des vallées (filmées avec l'un des plus beaux noir et blanc qu'il m'ait été donné de voir), le son d'un oiseau ou du vent, même le silence est majestueux. Le corollaire à cela, c'est l'allongement des plans, comparables souvent à quelque tableau abstrait jouant sur les nuances de gris.

Faire durer au maximum l'espace entre deux noirs, c'est aussi ressentir le temps qui passe, comme pour justifier la dose inévitable d'absurde qui en provient. Les trois rois entament souvent dans un plan-séquence la traversée d'une plaine ou l'ascension d'une colline, et alors qu'on les croyait disparus du plan pour toujours et que l'on croyait voir les dernières secondes d'existence de celui-ci, ils réapparaissent pour traverser cette même colline ou plaine dans un autre sens. Cela est encore plus prégnant lors des phases dialoguées, où se fait même ressentir une certaine dose d'humour. En effet, peu chrétiens, les mages ne s'empêchent jamais de pester contre Gabriel(le) et son étoile du berger, introuvable dans le ciel constamment nuageux, ils pesent également contre la topographie même du désert galiléen. Il n'est même pas rare de les voir se chamailler, une fois à cause d'un endroit trop inconfortable et trop serré pour y dormir sereinement, une autre quand il s'agit de choisir de franchir une montagne ou de ne pas le faire. Impossible de ne pas penser à Beckett ou à Jarry, surtout quand on sait l'amour que porte le réalisateur au théâtre.

Et puis soudain, les mages arrivent au but alors qu'on n'y croyait plus, ils s'agenouillent, s'allongent même, face à Marie qui porte l'Enfant-roi entre ses bras, le plan se fige presque et une musique solennelle, grave, empreinte de grandeur mystique, s'élève, montrant enfin au grand jour les intentions les plus profondes d'Albert Serra : nous faire endurer une longue absurdité triviale pour faire ensuite éclater le spirituel, le sacré, la beauté radicalement noble se cachant dans le monde. Le Catalan dit lui-même qu'il a "l'intuition qu'il y a derrière ces images quelque chose de poétique". On irait plus loin : cette nouvelle forme de rêve, d'émerveillement que l'on retrouve chez Weerasethakul ou Kawase, voilà ce qui impose Serra au panthéon des grands réalisateurs contemporains.

lundi, juin 23, 2008

Échos en flou des mémoires

Syndromes and a Century (Sang Sattawat) - Apichatpong Weerasethakul, 2007


Le cinéaste thaïlandais Weerasethakul a frappé un grand coup en douceur lors de l'été 2007, sa "Lumière du siècle" (traduction littérale du titre original) fait encore mieux qu'être simplement le meilleur film de son auteur (ce qui, après Mysterious object at noon, Blissfully yours et Tropical malady, n'est déjà pas mal), il réinvente presque naturellement le cinéma contemporain, piochant dans ses souvenirs pour confondre toujours plus fiction, documentaire et onirisme pour en arriver à ce qu'un collègue appelait avec justesse la "réanimation du surréalisme". Le dialogue hors-champ du générique est là pour le confirmer, tout comme le regard caméra de la vieille femme, sans avoir même la possibilité d'oublier la séquence totalement incroyable de la bouche d'aération qui entre incontestablement dans l'histoire des séquences les plus bouleversantes de l'histoire du cinéma. À noter par ailleurs que le Thaïlandais était le Président du Jury international au Festival International du Documentaire de Marseille justement l'année où celui-ci intégrait pour la première fois à la sélection officielle des documentaires où la fiction prenait part. Ce n'est pas qu'un hasard.

La première partie, comme à l'habitude chez Weerasethakul, est plus proche du récit. Dans un hôpital. Un homme, une femme. Lui l'aime et veut l'épouser ; elle ne sait pas, hésite, puis enclenche ses souvenirs. Des merveilles comme le dentiste chanteur (étonnant d'ailleurs comment Weerasethakul arrive à rendre touchant n'importe quelle chanson de variété thaïlandaise, cf. la séquence de chant dans Tropical malady) ou le moine guitariste, un peu d'absurde dans ce monde si réel.

La seconde partie, plus onirique et contemplative, nous fait revisiter le même lieu, ou presque ; nous fait aussi revisiter des lieux vus ou entendus dans d'autres films, mais pas exactement. Le souvenir, c'est aussi ça, ce n'est pas tout à fait précis.Weerasethakul se souvient et donc ne réécrit et ne re-filme pas exactement les mêmes séquences. Un peu comme si ces deux parties avaient été tournées indépendamment, l'une avant l'autre mais avec un long temps entre les deux tournages. Dans cette seconde partie, une atmosphère plus inquiétante, plus sourde, moins réaliste, se fait sentir. Ce jeune gamin joue au tennis dans des couloirs vides, blancs et froids. La vieille femme nous regarde, ne nous remettant pas seulement à notre place de spectateur, mais aussi nous faisant réfléchir à ce que nous avons devant les yeux. Est-ce encore un récit ? Est-ce un documentaire ? Est-ce plus vraisemblablement un rêve ?

Weerasethakul crée entre les deux, comme Lynch avant lui (qui s'impose par là-même comme l'influence principale du cinéma contemporain mondial), comme Jia Zhang-ke dans Still Life, comme Van Sant dans la trilogie (Elephant, Gerry, Last Days) et même encore plus dans Paranoid Park, comme Naomi Kawase, Wang Bing ou, plus proche de nous, Rabat Ameur-Zaïmèche. L'avenir du cinéma, semble vouloir nous dire Apichatpong, n'est plus au récit de fiction unique, ni même au documentaire d'ailleurs : l'avenir est dans cet entre-deux, dans cet empiètement entre les deux formes d'un même art, avec pour but la création d'un nouvel émerveillement et d'une nouvelle forme de rêve après les récits nécessairement désabusés de la fin du siècle dernier. Il s'agit de retrouver le spirituel dans la vie courante.

Pour revenir précisément à Weerasethakul, ses deux précédents films étaient déjà remplis de douceur. "Une douce après-midi d'été" aurait pu être le titre de Blissfully yours s'il avait été un livre de Marc Lévy ou d'Anna Gavalda. Mais d'une manière générale, Weerasethakul, comme Jia Zhang-ke, prend le contre-pied de Lynch. L'onirisme et le surréalisme de l'américain est torturé et violent, celui de Weerasethakul est apaisé, comme s'il avait pris acte de la fin d'une certaine mode du cinéma en même temps que Lynch (qui sortait la farce Inland Empire la même année).

On pourrait enfin méditer ce film à l'aune de cette phrase extraite de Sans Soleil de Chris Marker : "J'aurai passé ma vie à m'interroger sur la fonction du souvenir, qui n'est pas le contraire de l'oubli, plutôt son envers. On ne se souvient pas, on récrit la mémoire comme on récrit l'histoire." D'après Apichatpong, Blissfully yours était un film sur sa vision du cinéma, Tropical malady un film sur lui-même. Syndromes and a century est un film sur ses parents. Et il fait précisément ce que Marker dit, il récrit en permanence sa mémoire en récrivant l'histoire de ses parents dans ce film. Et bien sûr, il ne la récrit pas telle qu'elle s'est passée mais en la modifiant selon ses aspirations, selon ses influences, selon sa visée. La définition même de l'artiste selon Merleau-Ponty.

dimanche, juin 22, 2008

Appréhender l'Italie berlusconienne

Le Caïman (Il Caimano) - Nanni Moretti, 2006


C'était l'une des grosses attentes de la quinzaine cannoise 2006, Nani Moretti, l'un des plus importants cinéastes italiens encore en activité, prenait le risque de faire le premier film de fiction italien attaquant frontalement "l'Italie des 30 dernières années, c'est-à-dire Berlusconi" (dixit Moretti lui-même).

Comme ce dernier, réélu tout récemment, l'a dit plusieurs fois, c'est le peuple qui l'a élu et réélu. Du pain béni pour Moretti qui décide de prendre au mot Berlusconi et de planter comme personnage principal la caricature même de l'Italien moyen (qui parle fort, qui mange des pizzas et qui encourage son fils footballeur) pour mieux attaquer Berlusconi sur son terrain, pour voir si l'Italien de base est vraiment un sympathisant forcené du président du Milan AC et du paysage audiovisuel italien.

Cet Italien lambda, c'est Bruno Bonomo (Silvio Orlando), producteur de films de série Z dans une situation professionnelle et sentimentale au bord de l'explosion. C'est alors qu'il reçoit des mains d'une jeune femme un scénario. Il le lit en transversale, s'extasie pour des raisons peu cinématographiques, et accepte de le produire. Seulement, ce film retrace l'ascension de Berlusconi. Difficile situation pour celui qui avoue un peu plus loin avoir voté pour lui, comme ça, sans réellement savoir pourquoi.

La thèse de Moretti, c'est que chaque Italien est un pro-Berlusconi en puissance. Pour le prouver, quatre fois dans le film, nous verrons des images du fameux scénario mis en scène : trois personnes différentes y jouant le rôle de Berlusconi, dont Moretti lui-même lors de la dernière séquence.

Moretti n'a pas fait un film sur Berlusconi, mais sur l'emprise qu'a eu Berlusconi sur l'Italie (et qu'a toujours, si on regarde l'actualité). Une emprise tant sur le plan politique et général que sur le plan personnel, dans la vie de chacun.
Plus intelligent et malin que la grande majorité des réalisateurs de films politiques récents, Moretti a eu le flair d'insérer des images d'archive du "Cavaliere" dans différentes situations qui montrent son manque évident de tact démocratique, tant il suffit de montrer Berlusconi lui-même pour s'apercevoir de ce qu'il est. Évidemment, ce film ne nous apprend rien sur Berlusconi, tout ce qui y est dit est déjà su de tous. On pourrait lui reprocher d'enfoncer des portes ouvertes, mais Moretti s'en défend. Le personnage qu'il interprète le dit bien lors d'une conversation en voiture : "On le sait tous déjà mais si on ne dit rien, ça va continuer".

La grande force du film, malheureusement reléguée dans la seule dernière séquence, est cette apparition de Moretti dans le rôle de Berlusconi, dans une voiture noire. Berlusconi est ici totalement terrifiant, menaçant, Moretti disant en un plan ce que tous les autres réalisateurs (Karl Zéro, Michael Moore, Sabrina Guzzanti ou même Les Guignols) s'attaquant au sujet des dictateurs mous de nos démocraties contemporaines n'ont jamais su dire en tant de films. Parce qu'il est facile de faire un film pour s'en moquer, pour les montrer dans leur ridicule. Berlusconi, Chirac, Bush, avant Thatcher et maintenant Sarkozy ne sont pas simplement les désespérants rigolos qu'on voudrait nous faire croire. On oublie, en nous les représentant ainsi, qu'ils sont d'abord et avant tout le reflet grossissant de nos démocraties malades et qu'il serait plus que temps de stopper les rires pour commencer l'action.

jeudi, mai 01, 2008

Produit Indépendant certifié Conforme

Little Miss Sunshine - Jonathan Dayton et Valerie Faris, 2006


Issu du Festival de Sundance (le festival américain des indépendants), succès public et critique de l'année 2006, deux Oscars et le César du meilleur film étranger, le premier opus du duo de réalisateurs Jonathan Dayton et Valérie Faris, Little Miss Sunshine a surpris tout le monde.
Les critiques ont souvent parlé d'un road movie beau et rafraîchissant, portrait au vitriol d'une certaine Amérique qui ne vit que pour le succès.

Toutefois, ce portrait acide se révèle vite être une baudruche et ce road movie anti-conformiste n'est en fait que le nouvel avatar d'une nouvelle forme de conformisme : le conformisme indépendant, avec critique sociale à deux sous, morale de comptoir et mauvais goût certifié du terroir.

Little Miss Sunshine est le portrait d'une belle famille de beaufs américains d'Albuquerque. Dans cette famille pas comme les autres, faisons les présentations :
- le Papy (Alan Arkin), sniffeur de coke et pervers, qui aime quand même beaucoup sa petite fille et qui l'encourage de toutes ses forces dans son entreprise de victoire.
- le Père (Greg Kinnear), arrogant pour rien et vrai looser tentant de vendre ses "9 points pour être un winner".
- la Mère (Toni Collette), aimant tout le monde même si elle est plutôt perdue dans cette famille.
- le Fils (Paul Dano), qui ne parle plus, qui lit Nietzsche (donc nihiliste et rebelle), cheveux nécessairement teints en noir.
- la Fille (Abigail Breslin) un peu grosse, qui rêve de participer à un concours de Miss America pour gamines.
Arrive dans cette magnifique famille le Frère de la mère (Steve Carell), professeur gay et suicidaire, spécialiste de Proust. "Welcome to Hell" écrivait le fils sur son calepin à ce dernier le premier soir. Il ne croyait pas si bien dire.
Après une longue discussion, ils décident de partir tous ensemble, dans le si célèbre van jaune, à Los Angeles pour encourager la fillette à son concours de "Little Miss Sunshine".

Évidemment, tout se grippe rapidement et les péripéties seront nombreuses avant l'arrivée à Los Angeles. Toutes ces péripéties tombent malheureusement à plat à cause d'un manque évident de prise de risque, ou, plus précisément, d'une prise de risque éminément calculée.
Moment tragique du film, la mort du grand-père par exemple. Pour montrer qu'on est audacieux, on le fait sortir en douce de l'hôpital. Trop fort quand même, ils sont pas indépendants pour rien !, se dit-on. Mais bon, courageux mais pas téméraires, le mort ne sera jamais montré (attendez, c'est un film pour la famille quand même ! on peut pas faire trop trash). Autre moment d'une condescendance abominable : le contrôle par le policier. Peu après la séquence de l'hôpital où le grand-père a été récupéré, le klaxon du van se bloque et oblige donc la famille à se soumettre à un contrôle de police. Bien aidé par l'attitude suspecte du père, le policier décide d'ouvrir le coffre. Suspense, va-t-il découvrir le corps du papy ? Eh bien non ! Quelques revues pornos achetées plus tôt dans le film attirent son attention, il les récupère et s'en va sans demander son reste...
Après cette longue ballade sur les routes d'Amérique, la famille arrive au concours, où l'inscription se fait de justesse (à quelques minutes près). "Oh ça n'est que cinq minutes", dira le brave homme (dont c'est la dernière année à ce concours) qui accepte d'inscrire la petite fille. Finalement, tout le monde s'apercevra de la superficialité du monde des concours de beauté pour enfants (!!!) et le Fils, qui aura repris la parole après avoir appris qu'il était daltonien (pourra pas devenir pilote comme il l'espérait tant le pauv'), peut déclamer la belle morale du film : "Il faut faire ce qu'on aime, le reste, on s'en fout !". Whaou !

mercredi, avril 30, 2008

La Vie me fait peur

Les Noces Funèbres (Corpse Bride) - Tim Burton, 2005


Après un très décevant (pour ne pas être plus méchant) Charlie et la Chocolaterie, pourtant succès public, Tim Burton nous a offert un second film la même année, dans la veine et le style graphique du culte L'étrange Noël de monsieur Jack, pour en faire un joli remake au moment de sa ressortie en 3D.

Reprenant l'intégrale des éléments burtoniens (la musique au piano toujours impeccable de Danny Elfman, les rôles-titres joués par Johnny Depp et Helena Bonham-Carter, l'ambiance gothico-romantique), après cinq minutes de film, il n'y a aucun doute : comme d'ailleurs dans Charlie et la Chocolaterie, on est bien chez Tim Burton.

Comme tout remake, Les Noces Funèbres emprunte beaucoup de thèmes à Mr. Jack, notamment la collusion entre le monde des vivants et le monde des morts. Mais quand, dans Mr. Jack, on part du monde des morts, dans ces Noces Funèbres on part du monde des vivants.
Il y a d'autres fortes similitudes : le monde des morts est, dans les deux films, un monde joyeux, fêtard et enthousiaste ; le monde des vivants, bien qu'il se révèle bien plus dépressif, triste et gris dans Les Noces Funèbres, l'est aussi dans Mr. Jack.

L'histoire est plutôt simple. Victor (Johnny Depp), fils de nouveaux riches poissoniers, doit se marier avec une fille de nobles ruinés : Victoria (Émily Watson). Après plusieurs péripéties, Victor se retrouvera - contre son gré - marié à un cadavre : la fameuse Corpse Bride Émily (Helena Bonham-Carter).
L'intrigue qui s'en suit se résume à comment Victor préférera le premier coup de foudre avec la vivante Victoria dans un monde triste plutôt que l'amour d'une morte (Émily) dans le monde coloré des décédés.

Beaucoup ont dit que Burton avait changé. Ce changement se situerait dans le temps au moment de la dernière commande de Burton : La Planète des Singes, échec dont on ne reparlera pas.

Depuis, il y a une sévère cassure dans le message des films burtoniens. Big Fish, puis Charlie et la Chocolaterie montrent un Burton plus "adulte" pour certains, plus "réac'" pour d'autres. Quand l'ancien Burton choisit de célébrer la différence, le politiquement incorrect et les freaks en tout genre (comme dans Beetlejuice ou Edward aux mains d'argent par exemple), le nouveau Burton préfère se prélasser dans des choix plus consensuels, usant de son univers au compte-gouttes pour rameuter ses fans tout en dictant un message bien plus discutable. Il faut se rappeler par exemple que l'idole Willy Wonka n'est finalement qu'un patron d'entreprise aux méthodes plus que douteuses, ayant viré du jour au lendemain tous les employés de son usine, mais que l'on continue à admirer et à sculpter avec des bouchons de dentrifrice. Il faut également noter que le seul personnage à mettre en doute la magie du monde burtonien (le gamin américain fan de jeux vidéos, dans la séquence ridicule parodiant 2001), se retrouve téléporté en compagnie des singes et de la plaquette de chocolat/monolithe, tandis que les Oompas Loompas chantent le mal que peut faire la télévision, en interdisant la possibilté de rêver et en ne créant que des enfants blasés.

Dans un film de l'ancien Burton, le héros choisirait-il le monde triste des vivants ?

Sans doute que non. Il préférerait jouer et s'amuser dans le jazz-club d'en dessous, rigoler et danser avec les morts, se moquer des vivants et de leur incapacité à s'amuser. Plus même, dans un film de l'ancien Burton, la question n'aurait même pas été posée, tant sa réponse aurait été évidente.
Mais voilà, Burton a grandi, s'est assagi (ou est devenu un vieux con) : il a maintenant une femme, des enfants. Il a compris que l'amusement ne dure qu'un temps, mais qu'il faut savoir faire des choix difficiles dans le monde réel, le monde adulte, terrible, gris et dépressif.
C'est donc un Burton fataliste qui nous parle dans Les Noces Funèbres, où il nous affirme que la vie des vivants est loin d'être toujours rose, qu'il est dur de s'y amuser et même d'y trouver son compte. Mais il nous explique aussi que le jeu et le rêve ne durent qu'un temps, et qu'il faut accepter de voir le monde tel qu'il est, de ne pas se voiler la face. Burton nous montre explicitement ses peurs de grand enfant, qui voit le monde extérieur comme quelque chose d'effrayant, car terriblement triste et morne ; qui préférerait son monde imaginaire (celui des morts) même s'il ne peut désormais plus le choisir car enfermé dans ses obligations (et ses devoirs) d'adulte, de mari et de père. Victoria, amoureuse vivant dans un monde triste, choisie par Johnny Depp/Tim Burton, n'est même pas incarnée par Bonham-Carter (la femme de Tim au quotidien). C'est dire la tristesse de ce monde réel.

Dans Charlie et la chocolaterie, Tim Burton disait en substance : "Les enfants sont de plus en plus immoraux. Ils ne respectent plus rien, ni la bonne nourriture, ni l'autorité, ni la famille, ni le travail bien fait, et n'ont même pas de savoir-vivre. Heureusement qu'il y a encore de ces enfants soudés avec leur famille, respectueux de toutes ces bonnes choses, à qui léguer l'amour du travail bien fait".
Dans Les Noces Funèbres, Burton nous affirme : "Le monde est triste, morne et rempli de gens immoraux. D'ailleurs, mon imaginaire est bien mieux, bien plus joyeux. Mais maintenant, je suis un grand. Donc me voilà contraint à choisir un monde affreux et triste, alors que même ma femme préfère le monde imaginaire."

Affirmation que l'on pourrait traduire par : "la vie me fait peur", dont on pourrait penser au premier abord qu'elle est touchante venant d'un cinéaste qui ose ouvrir à son public ses peurs les plus intimes. Mais il faut se rendre à l'évidence : cette attitude ne peut qu'être condamnée. La fuite ne sera jamais qu'une attitude immature et défaitiste. Alors que d'autres (Fincher dans Fight Club, Mann dans Miami Vice) nous affirment que l'amour peut nous permettre de continuer à vivre, certains affirment que le rêve et l'imaginaire restent une solution (Gondry notamment). Burton lui ne croit plus ni à l'un ni à l'autre, il file tout droit vers un sombre nihilisme.

En fin de compte, le titre français complet : les Noces Funèbres de Tim Burton, avait tout compris.

mardi, avril 01, 2008

Bienvenue dans le Jardin

Sous des arbres, je méditai : je l'imaginai infini, non plus composé de kiosques octogonaux et de sentiers qui reviennent, mais de fleuves, de provinces et de royaumes... Je pensai à un labyrinthe de labyrinthes, à un sinueux labyrinthe croissant qui embrasserait le passé et l'avenir et qui impliquerait les astres en quelque sorte.

Time past and time future
Are both perhaps present in time future
And time future contained in time past.

Celui qui se lance dans une entreprise atroce doit s'imaginer qu'il l'a déjà réalisée, il doit s'imposer un avenir irrévocable comme le passé.