mercredi, février 23, 2011

Mièvre Plastique

Air Doll (Kûki Ningyo) - Hirokazu Kore-Eda, 2010



Le nouveau film de Kore-Eda, dont nous avions beaucoup apprécié le précédent, s'éloigne des thèmes de prédilection de ce dernier : le deuil particulièrement. À Tokyo, un homme vit avec une poupée gonflable. Il couche avec (naturellement) mais prend également son bain avec, la mène se promener dans des parcs ou mange avec elle le soir. En clair, il vit avec elle comme si elle était une vraie femme. De la vie quotidienne d'un homme et de sa poupée gonflable, dont l'exposition ne prend que quelques minutes (magnifiques), Kore-Eda, malheureusement, ne parlera pas. Non, car très vite, il arrivera un événement extraordinaire à cette poupée gonflable : elle prendra vie. Et de cette prise de vie, dont elle cachera au début l'existence à son propriétaire, découlera une envie de découverte, base de tout conte initiatique.

Elle profitera donc de ses journées, quand son maître est au travail, pour se balader à son aise dans la grande métropole. Ses sorties la mèneront même à trouver un travail dans un vidéoclub et à rencontrer plusieurs personnages originaux et cocasses (une petite fille, dans un restaurant ; une vieille dame remerciant chaque personne rencontrée ; un vieux SDF poète ; son créateur ; et, évidemment, les employés du vidéoclub). Sa conscience et son coeur, avec lequel elle aimera - un jeune homme travaillant dans son vidéoclub - et souffrira, se développeront au fur et à mesure de ses rencontres, et une morale du monde qui l'entoure va finir par poindre dans ce corps de plastique. Durant tout ce temps, elle continuera, le soir, de repartir chez elle accomplir son devoir (sexuel) de poupée gonflable avec son propriétaire (qui ne sera jamais traité que comme un raté fini dans le film, au mieux comme un pauvre gars). Elle finira cependant par le quitter car elle ne ressent pour lui aucun amour. Rappelant à chaque instant : "Je suis une poupée gonflable, un substitut pour supporter le désir sexuel".

Le problème du film, c'est qu'il ne s'élèvera jamais au-delà de ce que le synopsis peut fournir : tristesse et solitude en milieu urbain. On espère longtemps (car le film s'étire, multiplie comme on l'a dit les rencontres, les moments en apesanteur rappelant parfois Michel Gondry, les ballades mi-naïves mi-mélancoliques, le tout alangui par la jolie musique de World's End Girlfriend) que le film prenne son envol et s'éloigne de son refrain sempiternel sur l'ultra-moderne solitude. Mais las ! La mièvrerie, gonflée de sérieux, restera à l'ordre du jour. Exemple typique : une femme passe en marchant à côté du vidéoclub où notre poupée gonflable travaille, ses bas forment des lignes sur ses jambes. La poupée gonflable, les confondant avec les siennes (en plastique), se précipite sur elle et lui offre en souriant le tube de fond de teint qu'elle a utilisé pour les masquer. Humour Amélie Poulainesque de la situation cocasse, suivi d'une réflexion sur la méchanceté inconsciente que l'on peut faire aux gens. Tristesse et déception de la part de ce réalisateur dont la rigueur et la subtilité habituelles ont laissé ici place à une immonde guimauve ridiculement sérieuse. On espère de tout coeur qu'il ne s'agisse que d'un faux pas.

jeudi, février 10, 2011

Le silence et la misère

Batalla en el cielo - Carlos Reygadas, 2005



Batalla en el cielo plonge ses protagonistes dans le silence par l'effet de leur misère et fait réagir leurs corps là où leur parole ne peut plus les aider.

La misère tout d'abord, de Marcos qui, par cupidité, a commis l'irréparable (le vol) et a connu un drame (la mort). La misère de Marcos, qui ne s'exprime par aucun mot ni même expression ; lui reste cloîtré dans un silence inexpressif mais dont on ressent pourtant le malaise profond et grave.

La misère de Ana, dont Marcos s'occupe depuis sa plus tendre enfance et qui vend son corps, qui ne sait pas comment le réconforter et qui, à défaut de pouvoir parler, de pouvoir réconforter, laisse son corps, objet de fantasme, faire ce qu'elle a désappris à faire autrement : apporter un peu de sérénité à un vieil ami, sorte de chant du cygne dont on devine dès la première seconde qu'il va mal se terminer.

Marcos, encore, enfermé dans une spirale infernale et totalement incapable de s'extraire de son mal-être, au destin funeste et aux fantasmes éveillés par la douceur de l'adieu d'une vieille amie, qui tâchant de garder ce qu'il aime, détruit ce qu'il veut, qui par amour, tue pour ne pas avoir à perdre ; paradoxe vivant, Marcos illustre la douleur de passions trop fortes, la douleur d'un malaise trop grand qu'il ne sait ni comprendre, ni assumer, ni appréhender, une douleur qui le traverse de part en part et qui le dévaste en silence, car il ne sait pas et n'a jamais su s'exprimer, car là où l'intelligence devrait prendre le relais, pour lui seul le corps subsiste, et c'est son corps qu'il finira par torturer au cours d'une tentative de rédemption vaine et ne pouvant s'achever que dans la mort.

Batalla en el cielo, c'est l'image triste de la misère portée à l'écran, une misère dont Reygadas montre bien l'origine sociale, car ici tous sont logés à la même enseigne (aspect auquel il admet s'intéresser dans le commentaire audio), même si pas forcément affectés de la même manière, mais qu'il dévoile sous son jour banal. L'image est aride, sèche, le rythme est lent, l'ensemble est décalé, oscillant entre crudité et vulgarité sans jamais commettre, en dépit de scènes pouvant clairement choquer, de réelle faute de goût : je n'ai pas été transporté, retourné, mais je comprendrais que l'on puisse l'être et j'attends la suite avec intérêt.