jeudi, novembre 25, 2010

Le New York Times a dit que "Dieu est mort".

Southland Tales - Richard Kelly, 2006



Le pitch de Southland Tales est simplissime. L'acteur Boxer Santaros (The Rock) et une actrice porno (Sarah Michelle Gellar) ont pondu un scénario qui décrit la fin du monde telle qu'elle se profile : en simulant le mouvement perpétuel de l'océan, une source d'énergie révolutionnaire inventée par un scientifique dément tout droit sorti de Red Alert ralenti imperceptiblement la rotation de la terre, ouvrant une faille dans la quatrième dimension. Là-dessus, Kelly se lâche et aborde pêle-mêle la fin du monde, la drogue, l'apocalypse, la troisième guerre mondiale, la réalité, la fiction, Karl Marx, Jésus, l'obsession sécuritaire et que sais-je encore. "What the fuck ?", donc.

Pour comprendre où Kelly veut en venir, il faut comprendre qu'il est avant tout un auteur de l'après 11/9. Dans Donnie Darko, un Boeing s'écrase sur la chambre de Donnie, au plafond de laquelle est accroché un drapeau américain. Dans Southland Tales, l'obsession sécuritaire (qui fait sans surprise suite à un attentat...) illustre un délire obsédant : le décalage bizarre et improbable d'un univers où plus rien n'a de sens, où plus rien n'est à sa place, où la fiction rejoint et dépasse la réalité, où la politique est muette face à un monde qu'elle n'a pas même conscience de ne pas comprendre.


Les exemples sont innombrables : Karl Marx figure de la pop culture des révolutionnaires communistes ; une ex reine de beauté à la tête de l'agence de sécurité du pays ; l'apocalypse par un camion à glaces vendeur d'armes à feu (le camion de Walter Mung, alias Christophe Lambert !) ; et ainsi de suite. Plus frappant encore, très tôt dans le film : un policier (Seann William Scott) qui n'est même pas en adéquation avec son propre reflet !


C'est simple : dans Southland Tales, rien ne va plus. L'univers de Southland Tales ne colle plus, il se délie et se dissout. Kelly n'aborde autant de sujets de front que pour mieux illustrer l'univers qu'il met en scène, que pour mieux illustrer que cet univers n'a plus la moindre idée de ce qu'il est en train de lui arriver, qu'il se délie et dénoue, qu'il s'effiloche sans qu'il ne parvienne jamais à dire par quel côté et de quelle manière il s'effiloche.


L'apocalypse, dès lors, est une issue logique, inévitable, mais là encore Kelly s'amuse à nous surprendre et à nous plonger dans la confusion : elle survient simultanément sur deux fronts.


L'univers périclite tout d'abord dans le camion à glaces pour ce pauvre flic, malade, drogué, qui a un temps d'avance sur son propre reflet, rencontre et retrouve son double et décide (textuellement) de "se pardonner" ce qu'il a fait en Irak, à savoir défigurer Pilot Abilene (Justin Timberlake !). Que dire, dès lors, de l'implosion du monde : qu'elle est l'affaire d'une conscience dont l'apaisement fait disparaître une affaire étrange de reflet décalé, manière de dire qu'elle est enfin en paix ?


L'apocalypse sur deux fronts, donc ; l'autre front : Boxer Santaros/Jericho Caine (alias The Rock), un bouddha tatoué sur le torse, un Jésus tatoué dans le dos dont l'image ensanglantée se dessine sur sa chemise immaculée, s'offre en sacrifice, les bras écartés, alors qu'il vient de réconcilier deux mondes, deux personnages, à savoir lui-même (Boxer Santaros) et le personnage qu'il incarne dans le scénario prophétique qu'il a écrit (Jéricho Caine) ; scène hallucinée où il se met à danser avec les deux femmes qu'aiment ces deux personnages entrecroisés, entremêlés.


L'apocalypse, la brusque fin du conte de Southland Tales, une vaste réconciliation, d'un homme avec lui-même tout d'abord, et d'un homme avec les deux hommes qu'il incarne ensuite ? Je n'y crois pas : le premier disparaît dans son camion à glaces, tandis que le second (à l'évidence) meurt. "Sacrifice absurde au possible", dixit Kelly lui-même dans le commentaire audio. L'univers de Southland Tales, l'apocalypse mise en scène gagne plutôt à être regardée avec du recul, loin des protagonistes. La fin de Southland Tales, c'est avant tout et surtout la scène hallucinante de cet immense ballon dirigeable où se déroule une fête somptueuse, sur fond de feux d'artifice, qui surplombe une ville ne proie à la révolte, à la guerre. Image de l'opposition non pas de deux mondes qui ne se comprennent plus, mais plutôt conclusion logique d'un univers qui a perdu tout sens, qui se résume à une juxtaposition illimitée d'idées et d'images justement illustrée par la surabondance d'images, de thèmes, par le sentiment que donne chacune des innombrables facettes de ce film de ne pas correspondre avec ce qu'elle devrait être : vulgarité à tous les étages ; voitures en train de copuler dans une publicité pour l'énergie de demain ; Marx passé à la moulinette de Warhol par les communistes ; bref, Southland Tales c'est évidemment un immense hommage à la culture pop, jamais traitée avec dédain, mépris ou hauteur (Kelly transcende un casting hallucinant... The Rock, Buffy, Timberlake, Highlander, American Pie,… merde quoi !), mais aussi un exposé méticuleux et somme toute assez froid (ce que l'on retrouve d'ailleurs dans The Box) sur ce qu'il y a d'invisible dans les turpitudes de notre époque.

lundi, novembre 15, 2010

Ceux qui restent

Jardins de pierre (Gardens of Stone) - Francis Ford Coppola, 1988


En 1979, Francis Ford Coppola offrait à la Guerre du Viêt-Nam, quatre années seulement après sa fin, son apogée spectaculaire, avec Apocalypse Now : hélicoptères, remontées de rivières et napalm sur fond de « Chevauché des Valkyries ». Dix ans plus tard, les choses ont bien changé. Tout d’abord dans la carrière du réalisateur : lui qui était le maître d’Hollywood dans les années 1970 (réalisant coup sur coup Le Parrain, Conversation Secrète, Le Parrain 2 et Apocalypse Now) décide désormais de réaliser depuis sa boite de production. S’en suit donc une période des années 1980 contrastée, avec peu de succès publics et beaucoup de films désormais oubliés ou presque (Coups de cœur, Outsiders, Cotton Club, Pegguy Sue, Jardins de pierre et Tucker). Et quand, en 1988, Coppola revenait à la Guerre du Viêt-Nam, peu étaient ceux qui s’y intéressaient encore.

Il faut dire que Gardens of Stone n’est en rien l’aventure virtuose et grandiose inspirée du roman de Joseph Conrad. Peu de rapports également avec Full Metal Jacket et Platoon, sortis respectivement un et deux ans auparavant. Il s’agit même précisément de l’inverse, un peu comme si Coppola décidait de revoir son chef-d’œuvre en mode mineur. Là où Apocalypse Now, comme Platoon, était une insertion en territoire ennemi, Gardens of Stone ne quitte jamais le territoire américain (rejoignant là la première partie de Full Metal Jacket) et Fort Myer, base affectée au cimetière d’Arlington. Jackie Willow (D.B. Sweeney) est un jeune fils de sergent, tout juste arrivé, qui souhaite faire carrière dans l’armée et rejoindre le plus rapidement possible le front. Clell Hazard (James Caan), qui a connu son père à la Guerre de Corée, décide de veiller sur lui. C’est que Clell n’est pas là où il souhaiterait être, lui qui vient d’être muté dans la Old Guard, régiment porte-drapeaux prestigieux composé de vétérans, il préférerait être instructeur, donner une éducation aux jeunes recrues pour leur permettre de revenir entier de cette terrible épreuve. Mais cette reconversion lui est refusée depuis longtemps.

Du coup, il se rabattra sur un seul, ce Willow. Il sait parfaitement que cela ne sert à rien de tenter de le convaincre de ne pas faire la Guerre, mais au moins lui faire profiter de conseils, les siens et ceux de son ami Goody Nelson (James Earl Jones), pour essayer d’en revenir vivant. Ainsi passe une année, chronique paisible d’une base arrière et de ceux qui y vivent, paisible mais cela dit toujours en demi-teinte, dans les coulisses de la Guerre présente via les cercueils qui se succèdent. La vie y continue malgré tout : Clell entame une liaison avec Samantha Davis (Anjelica Huston), une voisine journaliste au Washington Post, totalement contre la guerre ; Willow effectue son apprentissage, perd son père, le fait enterrer à Arlington.

Chronique de l’arrière, mais aussi chronique amoureuse, celle d’un amour toujours repoussé à cause de l’armée, celle de Willow et Rachel (Mary Stuart Masterson), qu’il rencontre un peu plus tard dans l’année. Elle est un amour de jeunesse, que le temps et l’amour de l’armée avait fini par séparer de lui. Il la retrouve donc, au hasard, et le temps d’un rendez-vous chaotique réussit à retrouver chez elle l’amour passé. Il la convainc donc et finit par l’épouser, malgré la réticence du père de celle-ci, ancien militaire haut-gradé et un peu bougon. Mais le temps de se marier, et l’année est bien vite terminée, et déjà l’école d’officier reprend Willow à son couple. Le temps de revenir et de fêter la fin de l’école d’officier, et son nouveau grade de lieutenant, c’est le Viêt-Nam qui s’offre à lui.

Toujours en accord avec sa règle depuis le début, chronique de l’arrière, Coppola reste avec ceux qui sont restés. Quelques images du Viêt-Nam nous seront montrées, par le biais d’un reportage télévisé, images d’archives. La suite, inévitable, ne nous sera offerte qu’à partir d’une lettre, terrible, que Clell lira à table, entouré de tous les proches de Willow. On y apprendra tout ce que l’on sait déjà et que Marlon Brando résumait en une phrase définitive dans Apocalypse Now : « L’horreur a un nom et un visage ». Ici, l’horreur n’aura qu’un nom et n’aura pas de visage, celui d’une guerre qu’on a déjà trop vu (« Don’t make me say that name! », s’écrie Samantha vers la fin). Willow ne reviendra pas de cette guerre, l’époque n’est plus aux héros. Seuls, tandis que le cérémonial militaire funèbre fait son œuvre, ceux qui restent pleurent, brisés à jamais, comme Coppola qui perd son fils la même année.

lundi, novembre 01, 2010

Virgin Homicides

All the Boys love Mandy Lane - Jonathan Levine, 2006


Le premier film du réalisateur américain Jonathan Levine, s’est petit à petit construit une belle réputation depuis sa présentation en 2006 dans plusieurs festivals, faisant d'autant plus trépigner d'impatience quant à la sortie de celui-ci dans notre pays. Fin août, ce fut enfin le cas, en direct-to-DVD.

Dans ce métrage comme dans tout slasher, l'histoire de base est identique : une bande de jeunes adolescents, la plupart en rut, se retrouve au fin fond du coin le plus perdu du monde et s'y fait traquer par un mystérieux tueur en série, sans trop de raison.

À la différence des autres slashers qui font la part belle au groupe, Jonathan Levine se différencie en mettant en haut de l'affiche Mandy Lane. Elle, c'est la jeune fille que tous les mecs du lycée s'arrachent, celle autour de qui le monde se fait et se défait, beauté évanescente qui refuse d'être touchée. Avec son air de n'être jamais vraiment présente à ce qui se passe, Mandy Lane oriente le film vers ce qui est sans doute sa plus belle idée, peu exploitée malheureusement : le "slasher mélancolique".

Elle se retrouve embarquée par ses amies dans un week-end avec quelques mecs dans la maison - évidemment isolée - de l'un d'entre eux, l'objectif de ces quelques mecs étant évidemment d'emballer la belle Mandy. Très vite, les disparitions s'enchaînent, mais le film continue de jouer avec les règles du genre et joue la suprise au moment de révéler l'identité du tueur - un autre lycéen - et ses motivations - Mandy Lane, aussi.

Dans ce déplacement dans l'identité du tueur (de l'étranger mystérieux au collègue du lycée), il y a une volonté importante de Jonathan Levine : réussir à faire passer le genre de simple jeu de massacre (comme c'est par exemple le cas dans le fun et dégénéré Piranha 3D, qui sortait dans les salles au moment où All the boys love Mandy Lane sortait en DVD) à réflexion à la fois sur le mal-être adolescent et sur sa volonté sexuelle.

Et alors que le film semblait parti pour finir sur de bons rails, le scénario opère un ultime retournement de situation, surlignant inutilement ce que l'on avait d'ors-et-déjà compris auparavant. Défaut que l'on attribuera à la jeunesse du réalisateur, tout comme la mise-en-scène régulièrement chichiteuse (parfois clippesque, parfois maniérée) et la bande-son bien trop présente.