samedi, octobre 08, 2011

Ass Burgers

South Park 15x08 - Matt Stone & Trey Parker, 2011




Presque pile quatre mois après la violente déflagration que fut You're getting old, voici South Park qui revient d'entre les morts, de là où on ne l'attendait plus. Après un tel épisode, on en était à se dire qu'au fond ce n'était plus la peine de l'attendre, qu'elle en avait terminé avec juste sept épisodes d'avance. On s'était trompés.

L'erreur a été de prendre You're getting old pour une parabole. Cet épisode devait signifier le ras-le-bol déprimant que Stone & Parker éprouvait pour leur bébé et la fin programmée de celle-ci. On la pensait en train de chanter "This is the end, my friend", comme les Doors. Mais nous avions tort. Stone & Parker sont en effet bien plus intelligents que nous, plus malins et surtout, contrairement à ce que la série laisse penser depuis toujours au premier abord, immensément plus fins. Alors quoi ? Si l'épisode sept n'était pas le fair-part de la série, qu'était-ce ? Ass Burgers est là pour nous répondre : une inquiétude sur le temps qui passe. Parce que, eh oui, ça fait quinze ans que la série existe et que le temps passe et ne s'arrête jamais. Jusqu'à présent, les auteurs voyaient ce temps passer mais la série persistait dans sa temporalité, comme coupée de l'univers dans lequel elle existait malgré les aventures, les personnages, les morts, les arrivées, les départs. Au fond, la saison quinze de South Park pourrait très bien ne se passer que quelques mois (certes chargés) après la première saison.

You're getting old, en fait, était la première incursion de South Park dans la temporalité, ce qui expliquait évidemment sa réflexivité. Stan prenait donc un an et voyait le monde autour de lui s'effondrer. Le voilà qui souffrait de "cynisme", n'arrivant plus à jouir du monde qu'il connaissait. Une simple bousculade qui s'avérait être un éboulement dans un univers aussi cloisonné que celui de South Park. Et, alors que Cartman et Kyle s'éloignaient de Stan en se rapprochant l'un de l'autre, la famille de Stan s'effondrait aussi. Stan se retrouvait littéralement seul au monde, dans l'univers de South Park mais sans plus y croire.

C'est d'ailleurs ce que montre admirablement les premières minutes de l'épisode. Stan se réveille, l'espoir que tout cela ne soit qu'un mauvais rêve violemment coupé sans la moindre seconde par les agissements d'une affreuse émission de radio libre. Tout est toujours là, mais on n'y croit plus. Au fond, plus qu'Asperger's, c'est la dépression qui guette Stan. Le voilà qui marche seul, coupé de tous, arrivant à l'arrêt de bus où ses amis se lancent avec décontraction dans une nouvelle aventure à cause d'un jeu sur les mots. Lui n'y croit même plus, et l'impossible arrive : le groupe s'éloigne, Stan prend son bus, on reste avec Stan. Cut dans la classe, où la routine infernale est toujours en place.

Au fond, cet épisode est plus brillant encore que You're getting old. Là où ce dernier ne faisait que diagnostiquer la maladie, Ass Burgers cherche le remède et n'a pas peur de se heurter frontalement à la maladie. Car on a beau s'agiter autour de Stan, créer cette parodie de parodie de machination, y ajouter l'absurde trash southparkien (les pets de Cartman comme saveur spéciale de ses burgers), rien n'y fait. Tout n'est plus qu'à propos de Stan tentant ou pas de recoller les morceaux avec son lui d'avant. L'alcool pansera quelques blessures, oh pas longtemps, juste celui de sa première vraie discussion avec Kyle de l'épisode (il aura fallu qu'il soit saoul pour qu'ils parlent ensemble ! on se rend compte ici du chemin parcouru par South Park en seulement un épisode et demi), qui ratera inévitablement. Quelques insultes, quelques mots d'amour. Scène merveilleuse de justesse, incroyablement mise en scène à cheval entre tragique et comique.

Enfin, le happy end tant attendu peut arriver, les parents peuvent se remettre ensemble, tout est prêt à reprendre forme comme si tout ça n'était qu'un vaste artifice, qu'un simple happening. Mais non, South Park a désormais grandi et s'élève bien haut au-dessus de ces blagues là, qui appartiennent comme à un autre âge. Les choses changent pour mieux rester les mêmes, comme le dit l'immémorial Snake Plissken. Le mal est dorénavant fait. Stan a beau reprendre sa vie quotidienne, entendre à nouveau les mots qui semblent quasiment magiques, tels "Adam Sandler" ou "Two and a Half Men", il peut même picniquer avec Wendy ou aller au cinéma voir une mauvaise comédie avec ses amis retrouvés. Mais la bouteille est là, présente, telle l'indice qui rappelle à tous que l'autre côté du miroir existe. Stan n'est désormais plus dans la matrice, mais il en est conscient. Bienvenue dans le désert du réel.

dimanche, octobre 02, 2011

Faux frère

Le Combat fractricide - Daisuke Nishio, 1990


On enchaîne cette fois-ci avec le mal-nommé Le Combat fractricide. On va d'ailleurs en profiter pour discuter directement de ce problème : Thalès, le méchant Sayajin de cet OAV, n'est en aucun cas le frère de Goku. Rien n'est jamais dit en faveur de cette hypothèse dans la VO : il ne s'agit ici que d'une misérable tentative de promotion facile de la part d'AB productions. En effet, le seul moment qui, en VF, indique que cela n'est en réalité qu'un discours sur la race (problématique importante pour Thalès). Aucune possibilité de placer cet épisode dans la chronologie de la série : il semble se passer entre la partie de Vegeta et le départ vers la planète Namek (mais Vegeta n'est jamais mentionné, ce qui est une aberration alors qu'on se retrouve avec un nouveau Sayajin).

Cet épisode est en fait un plaidoyer écologiste. Dès le premier plan, le ton est donné : des poissons dans une rivière au moment où Gohan rejoint Krilin, Bulma et Oolong dans une sortie camping en pleine nature. Très vite, ce camping tourne au sauvetage d'une forêt en feu, puis à l'amitié sans bornes entre Gohan et un mignon petit dragon bleu (habitant cette forêt, et qui reviendra régulièrement dans les OAVs). On trouvera ici la troisième invocation de Shenron en autant d'OAVs, cette fois-ci par le camp des gentils pour, épisode écolo oblige, rendre à la forêt brûlée son état originel. Il n'y a pas à dire : placé sous le signe de la nature.

L'histoire principale nous parle donc d'un groupe de mercenaires Sayajins mené par Thalès arrivant sur Terre pour y planter l'Arbre de Puissance (en VF, Arbre sacré), qui pompe via ses racines l'énergie de toute la planète, pour grandir et faire pousser des fruits qui rendent plus puissants. Évidemment, Goku et ses amis vont tout tenter pour les stopper et détruire l'Arbre (mais personne ne pensera à aller cueillir un de ces fruits au lieu de se faire rétamer par les Sayajins). Il est à noter quelques superbes plans dans ce film : notamment, un enfant avec un ballon devant une ville détruite par des racines géantes (pour la première apparition des humains dans un OAV), un petit dragon bleu volant avec un arbre immense s'étendant en fond.

Encore plus que les deux premiers OAVs, cet épisode est Goku-centré : il est quasiment le seul sujet de discussion pour Thalès (qui n'arrive pas à se décider entre le détester pour sa faiblesse, le remercier pour avoir laissé la Terre en bon état permettant l'implantation de l'Arbre et lui proposer de s'enrôler dans son groupe de mercenaires pour aller joyeusement piller l'univers entre gens de même race - c'est une proposition qu'il fait aussi plusieurs fois à Gohan) et est le seul à tenir le coup face aux ennemis. Le problème qui en découle, c'est que les autres personnages en sont rendus au rôle de faire-valoir (Piccolo [qui joue au sage tibétain en lévitation à côté d'une belle cascade, pour sa première et pour sa dernière apparition de l'épisode], Yamcha, Krilin, Ten-shin-han, Chaozu et même jusqu'à Gohan qui se transforme quand même en singe géant). On en finira pour la deuxième fois d'affilé par un Genkidama (cette fois-ci, ce n'est plus la Terre qui donnera ses ressources, elle qui est asséchée par l'Arbre, mais les fruits de l'Arbre lui-même) : quoi de mieux finalement pour un film écolo ?

samedi, octobre 01, 2011

L'homme le plus fort du monde

Le Robot des glaces - Daisuke Nishio, 1990


Deuxième étape dans le visionnage des OAV Dragon Ball Z, j'abordais Le Robot des Glaces avec bien peu d'enthousiasme.

Pourtant, il s'agit ici d'un deuxième OAV de bien meilleure qualité que son aîné avec Garlic. Comme dans celui-ci pourtant, cela débute par un entraînement de Piccolo et par l'invocation de Shenron. Tout aussi facile recherche des boules de cristal mais, cette fois-ci, Oolong et Gohan l'ont bien remarqué et arrivent à temps pour voir un vieillard demander au dragon la libération du Dr. Willow, un savant fou à la recherche d'un corps pour loger son cerveau de génie.

Ce vieillard va commencer par sommer Tortue Géniale (Muten Roshi) de le suivre (il emmènera Bulma avec lui, elle ne servira qu'à nous donner l'utile et agréable contexte historique de cette histoire, point fort de cet épisode qui n'aura de cesse de nous faire penser à Bioshock), lui censé être l'homme le plus fort du monde. Délicieux anachronisme que nous permet l'enfermement durant 50 ans du docteur et de son assistant. Tortue Géniale sera d'ailleurs loin de démériter contre les trois monstres robotiques, même si le combat reste déséquilibré.

Pendant ce temps, Chichi commence son délire d'inquiétude envers Gohan et ne manque pas une seconde pour lui rappeler de faire ses devoirs, de travailler pour pouvoir rentrer dans une grande école, etc. Cela nous vaudra par ailleurs le deuxième intermède musical en deux épisodes (ce sera d'ailleurs le dernier), où Gohan dansera cette fois-ci entouré de gommes, d'équerres et de Piccolo. La qualité globale de cette musique frôle le massacre et il semble parfaitement logique de voir cette tentative échouer.

Malgré tout, Gohan partira ensuite rejoindre son père (avec Krilin, toujours aussi utile et tourné en ridicule - quelque chose qui restera constant dans les OAVs) à la rescousse de Tortue Géniale et Bulma. Il n'y a pas grand chose d'autre à dire sur cet épisode, outre son petit lot de nouveautés qui vont devenir ensuite des habitudes : première utilisation par Goku du Kaioken et du Genkidama (on les retrouvera trèèès régulièrement) et première fois où Piccolo se retrouve sous l'influence d'un méchant (ce sera également le cas dans... les épisodes hors-série de l'animée consacrant le retour de Garlic Jr.). Enfin, dernière remarque sur le placement dans l'ordre chronologique de la série, il est ici impossible vu que tout semble être en place comme si l'arrivée de Vegeta et des siens était imminente, sauf que Goku est présents alors qu'il est chez Kaioh à ce moment-là et que personne ne fait jamais mention des Sayiajins. Il n'y aurait de toute manière certainement pas le temps de s'occuper de ce savant fou alors que Vegeta est à deux doigts d'arriver.

Un oignon comme radis

À la poursuite de Garlic - Daisuke Nishio - 1988


Première étape dans le nouveau visionnage des OAV Dragon Ball que nous nous sommes imposés, comme par nostalgie, À la poursuite de Garlic est sans doute aussi l'un des moins bons.

Garlic, extraterrestre de la taille de Krilin, est le grand méchant de cet OAV, lui qui aura aussi droit à des épisodes hors-série dans la série animée. Il est ici pour accomplir la vengeance de son père, concurrent recalé au poste de Très-haut (à l'époque où le vieux Namek l'est devenu, à sa place) et pour, ô surprise, devenir maître du monde et faire souffrir l'ensemble de la population terrienne. Il récupère sans trop de mal les sept boules de cristal, kidnappe Gohan tandis que Goku est tranquillement à la pêche, et devient dans la foulée immortel (c'est Pilaf qui doit être dégoûté, lui qui avait toujours un Oolong pour demander une petite culotte).

Ces moments de flottement entre sa demande d'immortalité et l'arrivée de Goku dans le château donnent lieu à une séquence très amusante où Gohan, encore le gamin pleureur insupportable qu'il est au début de DBZ jusqu'à son entraînement par Piccolo, se retrouve ivre et mène en bateau l'un des sbires de Garlic, tout en hallucinant une ballade sur la tête d'un dinosaure bleu à l'air très sympathique.

Peu après donc, le Très-haut, Goku, Krilin et Piccolo se succèdent à la rescousse dans le château. Tandis que le Très-haut discute retrouvailles avec Garlic (et ne fait évidemment pas le poids), Goku et Piccolo expédient en deux-temps-trois-mouvements les sbires en fait nullissimes en un contre un, quand ils faisaient illusion à trois. Krilin ne sert ici qu'à trimbaler pendant les combats un Gohan endormi (et, occasionnellement, à se faire pisser dessus par le même Gohan).

Plus tard, Goku et Piccolo s'unissent pour combattre Garlic Jr. (alors qu'ils sont encore, à ce moment-là, ennemis), mais n'arrivent à rien. C'est finalement Gohan qui s'énervera et enverra Garlic croupir pour les siècles et des siècles dans une autre dimension. Amen.

Il y a dans cet OAV une part non-négligeable de remake (ce sera souvent le cas) de la série animée, puisqu'il s'agit tout bêtement de la même trame que la séquence Raditz (enlèvement de Gohan par un extraterrestre, Piccolo et Goku ennemis mais qui s'allient et Gohan qui termine le boulôt). Il n'y aura évidemment pas ici de sacrifice pour Goku. Nous pouvons voir un certain intérêt dans cet épisode en ce qu'il nous apporte quelques détails biographiques sur le passé du Très-haut. Dans l'ordre chronologique global de la série, il se situerait quelque part entre la fin de Dragon Ball et le début de Dragon Ball Z (après la naissance de Gohan mais avant la mort de Goku, sans doute dans les semaines qui précèdent l'arrivée de Raditz).

dimanche, juin 12, 2011

You're getting old

South Park 15x07 - Matt Stone & Trey Parker, 2011





Le premier mot qui nous vient après You're getting old ne peut être que grandiose. Pour la première fois de son histoire, South Park ose se mettre à plat, s'exposer et affirmer sa fin ! Évidemment, quand il s'agit d'une série que l'on connaît depuis tout ce temps, avec laquelle on vit, dont on connaît les habitudes, dont on vante les qualités et dont on critique les défauts tout en sachant pertinemment qu'on l'aime aussi pour ça, cela touche profondément.

Mais les auteurs sentent la fin arriver, Stone & Parker semblent ne plus supporter la série telle qu'elle existe, et décident de bouleverser l'univers southparkien. Déjà, avec l'épisode dernier, on aurait dû s'en douter, Kyle et Cartman qui se liaient d'amitié, c'était bizarre. On les voyait s'associer facilement, mais allez ! quelques indices ici et là indiquaient que Kyle n'était pas complètement devenu fou (il critiquait toujours Cartman, même s'il lui trouvait des circonstances). Mais là, nous allons mille fois plus loin.

On débute ici par l'anniversaire d'un personnage, dans une série qui a toujours placé ses protagonistes dans un univers sans aucune prise temporelle. Stan qui prend un an, c'est la série qui en prend dix d'un coup, par le simple fait de sa subite prise en compte d'une temporalité jusqu'alors inexistante. Ce serait déjà beaucoup, mais les créateurs en profitent pour faire une sorte de résumé, de compte-rendu de fin de course, et se rendent compte qu'ils n'y arrivent plus. Stan est atteint de "cynisme", tout ce qu'il aimait auparavant est devenu (littéralement ici) de la merde. Jamais l'humour trash de South Park n'aura été utilisé avec tant de justesse.

Nous savions pertinemment que la série allait mal : les deux dernières saisons en sont la preuve, le niveau y est tout ce qu'il y a de plus médiocre (voire carrément horrible pour certains des épisodes de cette première partie de saison quinze), mais la voir s'afficher ainsi comme en phase terminale d'une longue maladie nous rend quand même extrêmement triste. Cet épisode est comme le début d'un processus funéraire : la série a l'air d'avoir enfin compris qu'elle allait mourir et qui semble avoir (ce qui est une phase plus compliquée à atteindre et donc d'autant plus touchante) accepté de mourir. Mais, semble-t-elle dire, interdiction de mourir comme ça, dans un coin de rue, en continuant à se mentir. South Park va donc en terminer en chassant ses démons, en bouleversant son univers, et tout ça d'une manière complètement inattendue et que j'espère d'une grande classe. Pour pouvoir enfin dire : South Park you're going out with a bang...

mercredi, avril 06, 2011

Fuck you Chellios !

Hyper Tension 2 (Crank 2) - Mark Neveldine & Brian Taylor, 2009




Le pitch du film est simple : Chev Chellios, héros du précédent volet, finit raide-mort après une chute d'hélicoptère. Sauf qu'un groupe de Chinois passait par là, lui implante un nouveau coeur fonctionnant sur batterie à la place du sien. Passablement énervé, il va partir à la recherche du son ancien palpitant, avec la nécessité de se prendre quelques décharges d'électricité pour continuer. Le premier volet était déjà passionnant dans sa manière d'aborder le film d'action dans son scénario même (Chellios devait sans cesse rechercher de l'adrénaline, c'est-à-dire faire advenir du matériau de film d'action, pour survivre), le second persiste et signe, continuant son exploration aux abords du méta-film d'action.

C'est donc reparti pour une heure et demi de courses infinies dans Los Angeles, influencée par tout ce que la sous-culture des années 1990-2000 a enfanté de pire : les clips MTV, "Pimp my Ride", le porno gonzo, les jeux vidéo, Google Earth, les émissions à la Jerry Springer et le pire des teen-movies à la American Pie (noter le nombre de blagues sur l'enfonçage dans le cul de tout ce qui peut passer par là, noter également le nombre de seins à l'air).

Crank 2 est au fond tellement mauvais (par excès de mauvais goût) qu'il en devient superbe, en ce qu'il incarne volontairement ce mauvais goût. Dans cette incarnation, Crank 2 va encore plus loin que le superbe et malade Domino de Tony Scott (avec Richard Kelly au scénario, excusez du peu). Là où ce dernier cherchait ce qui restait au cinéma dans sa confrontation avec la sous-culture télévisuelle des vingt dernières années, Crank 2 ne cherche plus à trouver les forces du cinéma cachées sous les débris, il utilise ces débris pour se fonder en tant qu'étendard culturel de notre génération.

Le diptyque Crank n'est en définitive rien d'autre que le manifeste d'un cinéma mutant et crade, embrassant la sous-culture et refusant l'héritage d'un cinéma engoncé dans son bon goût académique : "Vous trouvez cette sous-culture de mauvais goût ? Moi je l'aime (parce que j'ai vécu et grandi avec elle) et je vous emmerde !" Symbolique de cela, le doigt d'honneur d'un Chellios enflammé à la fin du second épisode vaut pour note d'intention.

mercredi, février 23, 2011

Mièvre Plastique

Air Doll (Kûki Ningyo) - Hirokazu Kore-Eda, 2010



Le nouveau film de Kore-Eda, dont nous avions beaucoup apprécié le précédent, s'éloigne des thèmes de prédilection de ce dernier : le deuil particulièrement. À Tokyo, un homme vit avec une poupée gonflable. Il couche avec (naturellement) mais prend également son bain avec, la mène se promener dans des parcs ou mange avec elle le soir. En clair, il vit avec elle comme si elle était une vraie femme. De la vie quotidienne d'un homme et de sa poupée gonflable, dont l'exposition ne prend que quelques minutes (magnifiques), Kore-Eda, malheureusement, ne parlera pas. Non, car très vite, il arrivera un événement extraordinaire à cette poupée gonflable : elle prendra vie. Et de cette prise de vie, dont elle cachera au début l'existence à son propriétaire, découlera une envie de découverte, base de tout conte initiatique.

Elle profitera donc de ses journées, quand son maître est au travail, pour se balader à son aise dans la grande métropole. Ses sorties la mèneront même à trouver un travail dans un vidéoclub et à rencontrer plusieurs personnages originaux et cocasses (une petite fille, dans un restaurant ; une vieille dame remerciant chaque personne rencontrée ; un vieux SDF poète ; son créateur ; et, évidemment, les employés du vidéoclub). Sa conscience et son coeur, avec lequel elle aimera - un jeune homme travaillant dans son vidéoclub - et souffrira, se développeront au fur et à mesure de ses rencontres, et une morale du monde qui l'entoure va finir par poindre dans ce corps de plastique. Durant tout ce temps, elle continuera, le soir, de repartir chez elle accomplir son devoir (sexuel) de poupée gonflable avec son propriétaire (qui ne sera jamais traité que comme un raté fini dans le film, au mieux comme un pauvre gars). Elle finira cependant par le quitter car elle ne ressent pour lui aucun amour. Rappelant à chaque instant : "Je suis une poupée gonflable, un substitut pour supporter le désir sexuel".

Le problème du film, c'est qu'il ne s'élèvera jamais au-delà de ce que le synopsis peut fournir : tristesse et solitude en milieu urbain. On espère longtemps (car le film s'étire, multiplie comme on l'a dit les rencontres, les moments en apesanteur rappelant parfois Michel Gondry, les ballades mi-naïves mi-mélancoliques, le tout alangui par la jolie musique de World's End Girlfriend) que le film prenne son envol et s'éloigne de son refrain sempiternel sur l'ultra-moderne solitude. Mais las ! La mièvrerie, gonflée de sérieux, restera à l'ordre du jour. Exemple typique : une femme passe en marchant à côté du vidéoclub où notre poupée gonflable travaille, ses bas forment des lignes sur ses jambes. La poupée gonflable, les confondant avec les siennes (en plastique), se précipite sur elle et lui offre en souriant le tube de fond de teint qu'elle a utilisé pour les masquer. Humour Amélie Poulainesque de la situation cocasse, suivi d'une réflexion sur la méchanceté inconsciente que l'on peut faire aux gens. Tristesse et déception de la part de ce réalisateur dont la rigueur et la subtilité habituelles ont laissé ici place à une immonde guimauve ridiculement sérieuse. On espère de tout coeur qu'il ne s'agisse que d'un faux pas.

jeudi, février 10, 2011

Le silence et la misère

Batalla en el cielo - Carlos Reygadas, 2005



Batalla en el cielo plonge ses protagonistes dans le silence par l'effet de leur misère et fait réagir leurs corps là où leur parole ne peut plus les aider.

La misère tout d'abord, de Marcos qui, par cupidité, a commis l'irréparable (le vol) et a connu un drame (la mort). La misère de Marcos, qui ne s'exprime par aucun mot ni même expression ; lui reste cloîtré dans un silence inexpressif mais dont on ressent pourtant le malaise profond et grave.

La misère de Ana, dont Marcos s'occupe depuis sa plus tendre enfance et qui vend son corps, qui ne sait pas comment le réconforter et qui, à défaut de pouvoir parler, de pouvoir réconforter, laisse son corps, objet de fantasme, faire ce qu'elle a désappris à faire autrement : apporter un peu de sérénité à un vieil ami, sorte de chant du cygne dont on devine dès la première seconde qu'il va mal se terminer.

Marcos, encore, enfermé dans une spirale infernale et totalement incapable de s'extraire de son mal-être, au destin funeste et aux fantasmes éveillés par la douceur de l'adieu d'une vieille amie, qui tâchant de garder ce qu'il aime, détruit ce qu'il veut, qui par amour, tue pour ne pas avoir à perdre ; paradoxe vivant, Marcos illustre la douleur de passions trop fortes, la douleur d'un malaise trop grand qu'il ne sait ni comprendre, ni assumer, ni appréhender, une douleur qui le traverse de part en part et qui le dévaste en silence, car il ne sait pas et n'a jamais su s'exprimer, car là où l'intelligence devrait prendre le relais, pour lui seul le corps subsiste, et c'est son corps qu'il finira par torturer au cours d'une tentative de rédemption vaine et ne pouvant s'achever que dans la mort.

Batalla en el cielo, c'est l'image triste de la misère portée à l'écran, une misère dont Reygadas montre bien l'origine sociale, car ici tous sont logés à la même enseigne (aspect auquel il admet s'intéresser dans le commentaire audio), même si pas forcément affectés de la même manière, mais qu'il dévoile sous son jour banal. L'image est aride, sèche, le rythme est lent, l'ensemble est décalé, oscillant entre crudité et vulgarité sans jamais commettre, en dépit de scènes pouvant clairement choquer, de réelle faute de goût : je n'ai pas été transporté, retourné, mais je comprendrais que l'on puisse l'être et j'attends la suite avec intérêt.