mardi, décembre 28, 2010

Classement 2010


1- The Social Network (David Fincher)

2- Toy Story 3 (Lee Unkrich)
3- Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures (Apichatpong Weerasethakul)
4- Fantastic Mr. Fox (Wes Anderson)
5- A Serious Man (Joel et Ethan Coen)
6- Sexy Dance 3 (Jon Chu)
7- An Education (Lone Scherfig)
8- The Ghost Writer (Roman Polanski)
9- I love you, Philip Morris (John Requa et Glen Ficarra)
10- Scott Pilgrim vs. the World (Edgar Wright)


Le sapin revient cette année à Sexy Dance 3, merveilleux film de danse et première grande utilisation de la 3D.


vendredi, décembre 17, 2010

Romance et tentacules

Monsters - Gareth Edwards, 2010



Monsters arrivait sur nos écrans avec cette étiquette que beaucoup de films commencent à revendiquer et qui nous inquiète donc de plus en plus : celle de "film fauché ayant fait sensation dans un festival". Comme tous, Monsters est un film tenant sur un concept assez improbable et plutôt cool qui donne envie : ici, la romance sur fond de problème extraterrestre. Les extraterrestres sont à la mode de nos jours, les "films sensations ayant fait le ramdam" leur étant consacré s'égrènent au fil d'un par année : Cloverfield en 2008, District 9 en 2009, et 2010 donc pour ce Monsters.

L'histoire est simple : un photographe free-lance rencontre puis escorte une fille à papa depuis le Mexique où ils sont actuellement jusqu'aux Etats-Unis. Le problème étant que, pour aller de là où ils sont à la frontière américano-mexicaine, il faut passer par une zone en quarantaine où logent des monstres extraterrestres quelque peu dangereux. Nos deux personnages principaux vont donc devoir faire ce voyage rempli de dangers et de rebondissements. Si nous ne savions pas déjà ce que le film souhaitait être, on se dirait prêt à un road-trip nerveux rempli d'action, de peur et de tension. Que nenni.

Monsters se tient à son concept, refuse donc l'action et tombe très vite dans une sorte de demi-ton arty, où l'attente tient un rôle prédominant. La musique se résume à de l'ambient apathique, et la mise en scène à l'unisson propose quelques séquences caméra à l'épaule tendance "journalisme dans le feu de l'action", et une quizaine de plans tendance "wallpapers" avec coucher de soleil et réflexion mélancolique. Assortie à ce demi-ton arty, une grande partie du film est donc composée de journées entières à attendre (d'abord un bateau, puis la préparation d'une expédition dans la zone en quarantaine) dans une chambre d'hôtel avec le journal télévisé en fond. Quand le film se décide enfin à se lancer dans la zone en quarantaine, il s'agira encore d'attente : celle de savoir quand les monstres vont attaquer.

De cette attente ressort ce que le film souhaite montrer : la romance hésitante des deux personnages. Le bât blesse encore à cause d'une piètre qualité d'écriture (à la fois des personnages et de leurs dialogues) : le photographe est, autant le dire, un gros relou (qui passe son temps à faire du rentre-dedans à la jeune fille) tandis qu'elle n'a tout compte fait aucune personnalité. Pour rentrer un peu plus dans la psychologie de comptoir de ces personnages, elle est fiancée mais elle semble réticente à la fois à en parler et à le revoir ; lui a un enfant mais la mère lui refuse de l'élever (ce qui leur permettra de remarquer qu'ils sont tout autant des écorchés de la vie et qu'ils ont donc plus de points communs qu'ils le pensaient). Toutefois, tout cette guimauve n'est rien face aux abysses atteintes lors de leur arrivée devant les grands murs de la frontière américano-mexicaine, du haut d'un temple aztèque, quand dans une tentative de parabole politique ratée, ils s'inquiètent tous deux d'une frontière aussi fermée et du fait que construire des murs entre les gens, c'est triste et dommage. On ne sait pas trop s'il faut saluer ce qui tente d'être une impertinence (quand il s'agit en fait d'une critique politique digne d'un élève de 5e) ou plutôt rire de la voir énoncée comme cela, sans liant aucun avec l'univers du film, où le mur est là pour protéger les Etats-Unis d'une invasion extraterrestre (il y a aussi l'équivalent d'un mur au niveau de la frontière mexicaine avec cette zone en quarantaine).

Au bout d'une heure et demi passée en territoire mexicain puis extraterrestre, ils arrivent enfin aux Etats-Unis, dans une zone sinistrée dont on comprend rapidement qu'elle a aussi été le lieu d'une confrontation avec les monstres. S'en suit une séquence magnifique où la confrontation arrive enfin : un monstre lance une de ses tentacules à l'assaut de la jeune fille, à l'intérieur d'une station-essence désaffectée où ils s'étaient arrêté et où ils attendaient les sauveteurs. Celle-ci réussit à sortir, rejoint le photographe, où ils assistent, ébahis, tout comme nous, à la ronde amoureuse et colorée de deux monstres tentaculaires dans la nuit. Moment de poésie parfaite que même le baiser qui s'en suit entre les deux héros n'arrive pas à gâcher. Dommage de se réveiller si tard.

jeudi, novembre 25, 2010

Le New York Times a dit que "Dieu est mort".

Southland Tales - Richard Kelly, 2006



Le pitch de Southland Tales est simplissime. L'acteur Boxer Santaros (The Rock) et une actrice porno (Sarah Michelle Gellar) ont pondu un scénario qui décrit la fin du monde telle qu'elle se profile : en simulant le mouvement perpétuel de l'océan, une source d'énergie révolutionnaire inventée par un scientifique dément tout droit sorti de Red Alert ralenti imperceptiblement la rotation de la terre, ouvrant une faille dans la quatrième dimension. Là-dessus, Kelly se lâche et aborde pêle-mêle la fin du monde, la drogue, l'apocalypse, la troisième guerre mondiale, la réalité, la fiction, Karl Marx, Jésus, l'obsession sécuritaire et que sais-je encore. "What the fuck ?", donc.

Pour comprendre où Kelly veut en venir, il faut comprendre qu'il est avant tout un auteur de l'après 11/9. Dans Donnie Darko, un Boeing s'écrase sur la chambre de Donnie, au plafond de laquelle est accroché un drapeau américain. Dans Southland Tales, l'obsession sécuritaire (qui fait sans surprise suite à un attentat...) illustre un délire obsédant : le décalage bizarre et improbable d'un univers où plus rien n'a de sens, où plus rien n'est à sa place, où la fiction rejoint et dépasse la réalité, où la politique est muette face à un monde qu'elle n'a pas même conscience de ne pas comprendre.


Les exemples sont innombrables : Karl Marx figure de la pop culture des révolutionnaires communistes ; une ex reine de beauté à la tête de l'agence de sécurité du pays ; l'apocalypse par un camion à glaces vendeur d'armes à feu (le camion de Walter Mung, alias Christophe Lambert !) ; et ainsi de suite. Plus frappant encore, très tôt dans le film : un policier (Seann William Scott) qui n'est même pas en adéquation avec son propre reflet !


C'est simple : dans Southland Tales, rien ne va plus. L'univers de Southland Tales ne colle plus, il se délie et se dissout. Kelly n'aborde autant de sujets de front que pour mieux illustrer l'univers qu'il met en scène, que pour mieux illustrer que cet univers n'a plus la moindre idée de ce qu'il est en train de lui arriver, qu'il se délie et dénoue, qu'il s'effiloche sans qu'il ne parvienne jamais à dire par quel côté et de quelle manière il s'effiloche.


L'apocalypse, dès lors, est une issue logique, inévitable, mais là encore Kelly s'amuse à nous surprendre et à nous plonger dans la confusion : elle survient simultanément sur deux fronts.


L'univers périclite tout d'abord dans le camion à glaces pour ce pauvre flic, malade, drogué, qui a un temps d'avance sur son propre reflet, rencontre et retrouve son double et décide (textuellement) de "se pardonner" ce qu'il a fait en Irak, à savoir défigurer Pilot Abilene (Justin Timberlake !). Que dire, dès lors, de l'implosion du monde : qu'elle est l'affaire d'une conscience dont l'apaisement fait disparaître une affaire étrange de reflet décalé, manière de dire qu'elle est enfin en paix ?


L'apocalypse sur deux fronts, donc ; l'autre front : Boxer Santaros/Jericho Caine (alias The Rock), un bouddha tatoué sur le torse, un Jésus tatoué dans le dos dont l'image ensanglantée se dessine sur sa chemise immaculée, s'offre en sacrifice, les bras écartés, alors qu'il vient de réconcilier deux mondes, deux personnages, à savoir lui-même (Boxer Santaros) et le personnage qu'il incarne dans le scénario prophétique qu'il a écrit (Jéricho Caine) ; scène hallucinée où il se met à danser avec les deux femmes qu'aiment ces deux personnages entrecroisés, entremêlés.


L'apocalypse, la brusque fin du conte de Southland Tales, une vaste réconciliation, d'un homme avec lui-même tout d'abord, et d'un homme avec les deux hommes qu'il incarne ensuite ? Je n'y crois pas : le premier disparaît dans son camion à glaces, tandis que le second (à l'évidence) meurt. "Sacrifice absurde au possible", dixit Kelly lui-même dans le commentaire audio. L'univers de Southland Tales, l'apocalypse mise en scène gagne plutôt à être regardée avec du recul, loin des protagonistes. La fin de Southland Tales, c'est avant tout et surtout la scène hallucinante de cet immense ballon dirigeable où se déroule une fête somptueuse, sur fond de feux d'artifice, qui surplombe une ville ne proie à la révolte, à la guerre. Image de l'opposition non pas de deux mondes qui ne se comprennent plus, mais plutôt conclusion logique d'un univers qui a perdu tout sens, qui se résume à une juxtaposition illimitée d'idées et d'images justement illustrée par la surabondance d'images, de thèmes, par le sentiment que donne chacune des innombrables facettes de ce film de ne pas correspondre avec ce qu'elle devrait être : vulgarité à tous les étages ; voitures en train de copuler dans une publicité pour l'énergie de demain ; Marx passé à la moulinette de Warhol par les communistes ; bref, Southland Tales c'est évidemment un immense hommage à la culture pop, jamais traitée avec dédain, mépris ou hauteur (Kelly transcende un casting hallucinant... The Rock, Buffy, Timberlake, Highlander, American Pie,… merde quoi !), mais aussi un exposé méticuleux et somme toute assez froid (ce que l'on retrouve d'ailleurs dans The Box) sur ce qu'il y a d'invisible dans les turpitudes de notre époque.

lundi, novembre 15, 2010

Ceux qui restent

Jardins de pierre (Gardens of Stone) - Francis Ford Coppola, 1988


En 1979, Francis Ford Coppola offrait à la Guerre du Viêt-Nam, quatre années seulement après sa fin, son apogée spectaculaire, avec Apocalypse Now : hélicoptères, remontées de rivières et napalm sur fond de « Chevauché des Valkyries ». Dix ans plus tard, les choses ont bien changé. Tout d’abord dans la carrière du réalisateur : lui qui était le maître d’Hollywood dans les années 1970 (réalisant coup sur coup Le Parrain, Conversation Secrète, Le Parrain 2 et Apocalypse Now) décide désormais de réaliser depuis sa boite de production. S’en suit donc une période des années 1980 contrastée, avec peu de succès publics et beaucoup de films désormais oubliés ou presque (Coups de cœur, Outsiders, Cotton Club, Pegguy Sue, Jardins de pierre et Tucker). Et quand, en 1988, Coppola revenait à la Guerre du Viêt-Nam, peu étaient ceux qui s’y intéressaient encore.

Il faut dire que Gardens of Stone n’est en rien l’aventure virtuose et grandiose inspirée du roman de Joseph Conrad. Peu de rapports également avec Full Metal Jacket et Platoon, sortis respectivement un et deux ans auparavant. Il s’agit même précisément de l’inverse, un peu comme si Coppola décidait de revoir son chef-d’œuvre en mode mineur. Là où Apocalypse Now, comme Platoon, était une insertion en territoire ennemi, Gardens of Stone ne quitte jamais le territoire américain (rejoignant là la première partie de Full Metal Jacket) et Fort Myer, base affectée au cimetière d’Arlington. Jackie Willow (D.B. Sweeney) est un jeune fils de sergent, tout juste arrivé, qui souhaite faire carrière dans l’armée et rejoindre le plus rapidement possible le front. Clell Hazard (James Caan), qui a connu son père à la Guerre de Corée, décide de veiller sur lui. C’est que Clell n’est pas là où il souhaiterait être, lui qui vient d’être muté dans la Old Guard, régiment porte-drapeaux prestigieux composé de vétérans, il préférerait être instructeur, donner une éducation aux jeunes recrues pour leur permettre de revenir entier de cette terrible épreuve. Mais cette reconversion lui est refusée depuis longtemps.

Du coup, il se rabattra sur un seul, ce Willow. Il sait parfaitement que cela ne sert à rien de tenter de le convaincre de ne pas faire la Guerre, mais au moins lui faire profiter de conseils, les siens et ceux de son ami Goody Nelson (James Earl Jones), pour essayer d’en revenir vivant. Ainsi passe une année, chronique paisible d’une base arrière et de ceux qui y vivent, paisible mais cela dit toujours en demi-teinte, dans les coulisses de la Guerre présente via les cercueils qui se succèdent. La vie y continue malgré tout : Clell entame une liaison avec Samantha Davis (Anjelica Huston), une voisine journaliste au Washington Post, totalement contre la guerre ; Willow effectue son apprentissage, perd son père, le fait enterrer à Arlington.

Chronique de l’arrière, mais aussi chronique amoureuse, celle d’un amour toujours repoussé à cause de l’armée, celle de Willow et Rachel (Mary Stuart Masterson), qu’il rencontre un peu plus tard dans l’année. Elle est un amour de jeunesse, que le temps et l’amour de l’armée avait fini par séparer de lui. Il la retrouve donc, au hasard, et le temps d’un rendez-vous chaotique réussit à retrouver chez elle l’amour passé. Il la convainc donc et finit par l’épouser, malgré la réticence du père de celle-ci, ancien militaire haut-gradé et un peu bougon. Mais le temps de se marier, et l’année est bien vite terminée, et déjà l’école d’officier reprend Willow à son couple. Le temps de revenir et de fêter la fin de l’école d’officier, et son nouveau grade de lieutenant, c’est le Viêt-Nam qui s’offre à lui.

Toujours en accord avec sa règle depuis le début, chronique de l’arrière, Coppola reste avec ceux qui sont restés. Quelques images du Viêt-Nam nous seront montrées, par le biais d’un reportage télévisé, images d’archives. La suite, inévitable, ne nous sera offerte qu’à partir d’une lettre, terrible, que Clell lira à table, entouré de tous les proches de Willow. On y apprendra tout ce que l’on sait déjà et que Marlon Brando résumait en une phrase définitive dans Apocalypse Now : « L’horreur a un nom et un visage ». Ici, l’horreur n’aura qu’un nom et n’aura pas de visage, celui d’une guerre qu’on a déjà trop vu (« Don’t make me say that name! », s’écrie Samantha vers la fin). Willow ne reviendra pas de cette guerre, l’époque n’est plus aux héros. Seuls, tandis que le cérémonial militaire funèbre fait son œuvre, ceux qui restent pleurent, brisés à jamais, comme Coppola qui perd son fils la même année.

lundi, novembre 01, 2010

Virgin Homicides

All the Boys love Mandy Lane - Jonathan Levine, 2006


Le premier film du réalisateur américain Jonathan Levine, s’est petit à petit construit une belle réputation depuis sa présentation en 2006 dans plusieurs festivals, faisant d'autant plus trépigner d'impatience quant à la sortie de celui-ci dans notre pays. Fin août, ce fut enfin le cas, en direct-to-DVD.

Dans ce métrage comme dans tout slasher, l'histoire de base est identique : une bande de jeunes adolescents, la plupart en rut, se retrouve au fin fond du coin le plus perdu du monde et s'y fait traquer par un mystérieux tueur en série, sans trop de raison.

À la différence des autres slashers qui font la part belle au groupe, Jonathan Levine se différencie en mettant en haut de l'affiche Mandy Lane. Elle, c'est la jeune fille que tous les mecs du lycée s'arrachent, celle autour de qui le monde se fait et se défait, beauté évanescente qui refuse d'être touchée. Avec son air de n'être jamais vraiment présente à ce qui se passe, Mandy Lane oriente le film vers ce qui est sans doute sa plus belle idée, peu exploitée malheureusement : le "slasher mélancolique".

Elle se retrouve embarquée par ses amies dans un week-end avec quelques mecs dans la maison - évidemment isolée - de l'un d'entre eux, l'objectif de ces quelques mecs étant évidemment d'emballer la belle Mandy. Très vite, les disparitions s'enchaînent, mais le film continue de jouer avec les règles du genre et joue la suprise au moment de révéler l'identité du tueur - un autre lycéen - et ses motivations - Mandy Lane, aussi.

Dans ce déplacement dans l'identité du tueur (de l'étranger mystérieux au collègue du lycée), il y a une volonté importante de Jonathan Levine : réussir à faire passer le genre de simple jeu de massacre (comme c'est par exemple le cas dans le fun et dégénéré Piranha 3D, qui sortait dans les salles au moment où All the boys love Mandy Lane sortait en DVD) à réflexion à la fois sur le mal-être adolescent et sur sa volonté sexuelle.

Et alors que le film semblait parti pour finir sur de bons rails, le scénario opère un ultime retournement de situation, surlignant inutilement ce que l'on avait d'ors-et-déjà compris auparavant. Défaut que l'on attribuera à la jeunesse du réalisateur, tout comme la mise-en-scène régulièrement chichiteuse (parfois clippesque, parfois maniérée) et la bande-son bien trop présente.

vendredi, octobre 08, 2010

Bad Blake Redemption

Crazy Heart - Scott Cooper, 2010


Bad Blake (Jeff Bridges) est un Countryman, un vrai de vrai, un pur et dur. Il a eu ses succès, il y a quelques temps mais cela fait des années désormais, et il ne court plus après. Son temps, il le passe à rouler sa bosse dans le Midwest, de petit concert en petit concert, parfois une salle de bowling, parfois un bar. Il ne fait que boire et ruminer toute la journée, ne répète jamais avec les musiciens, mais reste très pro quand il monte sur scène, sait contenter ses fans en chantant ses belles chansons. Cela ne dure qu'un temps : celui de rencontrer une femme (Jean, Maggie Gyllenhaal), célibataire avec jeune enfant (de son nom Buddy), et de tomber amoureux d'elle.

Typique film de rédemption, Crazy Heart va voir Bad Blake tenter de changer pour remettre sa vie dans le bon sens, recommencer à avancer lui qui n'est plus qu'un vieux vivant sur son passé. Toutefois, cette rédemption viendra à son rythme, lent et dépouillé, comme l'est la country qui irrigue de partout ce film. Ce dernier prend son temps, enchaîne lentement, presque logiquement les moments clés d'un scénario que l'on croyait éculé et qu'on se surprend à apprécier tout de même grâce au classicisme impeccable de la mise-en-scène. C'est aussi parce que Bad Blake n'est pas le "déchet" qu'il pourrait être dans un autre film du genre. Ici, il séduit Jean alors qu'il est encore ce vieux grincheux, et leur relation (impossible, comme dans tout bon film de rédemption) débute naturellement, sans artifices.
Autre exemple du naturel et de l'absence d'affectation de ce film, plusieurs fois au début du film nous est mis sous l'oreille la rancœur de Bad Blake pour son ancien protégé Tommy. Quand ils en arriveront enfin à se rencontrer dans le film, le duel tant attendu sera tout à fait désamorcé, tant Tommy (Colin Farrell) n'arrête pas de vouloir se faire tout petit aux côtés de son idole, qu'il semble admirer plus que tout.

Et alors que le film semblait s'en aller tranquillement vers sa conclusion, Bad Blake égare Buddy dans un centre commercial, alors qu'il allait se servir un verre dans le bar d'un ami à lui. Le scénario fait là sa seule erreur, comble d'artificialité et de cliché, dans un film pourtant si fin depuis le début. C'est le début de la fin pour Bad Blake, qui perd dans l'histoire sa relation amoureuse, et donc aussi la fin d'une longue absence. Il en profite pour se ressaisir, part en cure de désintoxication, recommence à écrire des chansons et change même de nom (reprend même son nom de naissance, Otis). Scott Cooper semble savoir qu'il s'est là fourvoyé, expédie tout cela en dix minutes chrono. En conclusion, comme pour s'excuser, il nous offre à la fois ce pourquoi nous aimions ce film et ce pourquoi nous aimons les films de rédemption : la vie enfin apaisée d'Otis, symbolisée par une chanson avec Tommy durant un grand et beau concert et par une discussion amicale avec Jean, avec douceur, tout en simplicité.

mardi, août 17, 2010

Evangelion

Neon Genesis Evangelion - Hideaki Anno, 1995 - 1996


Ils sont peu nombreux ceux qui ont compris où Hideaki Anno a bien voulu vouloir en venir en créant Evangelion. Il faut en savoir un peu plus sur le personnage pour le comprendre. Il fut, avant de créer Evangelion, un « otaku » pendant deux ans. Pour mémoire, le terme « otaku » désigne ces japonais qui restent enfermés chez eux, totalement coupés du monde, des années durant, en s’adonnant de manière obsessionnelle à une activité d’intérieur comme les mangas, les animes ou encore les jeux vidéo.

Hideaki Anno, ex pervers...
Ainsi, lorsqu’on parle de Anno, on parle d’un type qui a collectionné des centaines / milliers de parodies porno de Sailor Moon, et qui a supplié qu’on le laisse storyboarder la séquence de transformation de Sailor Moon R pour toucher à la mini-jupe de son idole (dixit Amrith Zêta, dont je vous recommande la lecture si le sujet vous intéresse). La phrase de Shinji, « je ne dois pas fuir », c'est celle que Anno a eu besoin de se répéter 4 jours durant pour trouver le courage de quitter son appartement pour rejoindre les studios de la Gainax et commencer à travailler sur Evangelion.

Le résultat ? Une série pensée comme une vaste métaphore adressant une critique d'une acidité et d'une violence inouïe à son publique. Les références bibliques ? Les Anges (ou plutôt « apôtres ») ? Adam, Lilith ? Les Eva, proches de l’homme ? Tout cela ne rime à rien : la logique d’Evangelion réside ailleurs.

Les Eva métaphorisent le cocon dans lequel s'enferment les otaku qui fuient la réalité. Retour à l'enfance et au cocon maternel symbolisé par les Eva d’un si grand nombre de manières que je ne puis que me borner à en citer une poignée. Pour mémoire, l'Eva 01 est la « mère » de Shinji, et il en va de même pour la seconde (Asuka sort de sa léthargie lorsqu'elle réalise que sa mère est avec elle « depuis tout ce temps » dans The end of Evangelion) ; quant à Rei, le message est si explicite dans la série que je ne vais pas en rajouter.

Si les protagonistes sont tous plus fucked up les uns que les autres, c'est parce que pour pouvoir piloter une Eva, c'est-à-dire pour pouvoir s'enfermer dans le cocon maternel, ils doivent préalablement ressentir le besoin de fuir le monde, sans quoi la métaphore n’a plus aucun sens. Ils symbolisent tous, chacun à leur manière, des cas réels auxquels Anno veut s'adresser ; plus encore, ils représentent, de l’aveu même de Anno, des facettes de sa propre personnalité.

L'insupportable Shinji Ikari.
La série, Evangelion, c'est l'évolution de Shinji, qui de l'épisode 1 à 24 fuit de moins en moins les difficultés de la vie pour finalement arriver à les affronter dans un final abstrait ; manière pour Anno de prendre par la main tous ceux qui ressemblent aux personnages qu'il dépeint pour leur faire comprendre qu'il est temps de cesser de fuir, pour leur dire qu'il est temps de retourner dans la réalité, d'enfin sortir de chez soi. L'abstraction des épisodes finaux, systématiquement reprochée à la série par ceux qui ne la comprennent pas, a pour cause cette volonté qu'à Anno de pousser ses spectateurs à arrêter à tout jamais de s'enfermer dans l'univers virtuel des animes et, plus largement, de fuir le monde.

Evangelion est une série qui rêve d'être abandonnée par le spectateur, qui espère l'aider à le faire ; une série qui se tue elle-même, qui se pense et se conçoit comme une peau morte vouée à être abandonnée en chemin, sans autre forme de procès. Anno s'est répété pendant deux ans « je ne dois pas fuir » ; avec Evangelion, il a compris la leçon et il tâche de dire au spectateur que « tu ne dois pas fuir ! ».

Une minute à contempler ça sur fond de Bach.
Naturellement, le public ciblé par Evangelion fut, et reste, le moins à même de comprendre le message, d’apprécier la plaisanterie. Le résultat : Anno menacé de mort et traqué dans le métro par les déçus à cause d’un final incompris, détesté, mis sur le compte exclusif du manque de moyens de la Gainax, qui a connu lors de la création de la deuxième moitié de la série de graves difficultés financières, ce qui explique du reste les multiples plans fixes (le studio ne pouvant plus en financer davantage, mais faisant finalement le choix d’en tirer parti) qui, paradoxalement, contribuèrent à faire de Evangelion une série unique, parfaitement avant-gardiste et, aujourd’hui, adulée par des centaines de milliers de fans.

De fait, j'ai un immense respect pour le génie dont Anno a fait preuve. A ma connaissance, aucune autre série n'a l'audace de scier la branche sur laquelle elle est assise, de tâcher de désigner quelque chose qu'elle ne peut pas contenir, qu'elle ne peut que désigner : le monde extérieur ; une série qui tâche de sortir d'elle-même pour amener le spectateur à l'abandonner, à des années lumières d'autres excellentes séries comme Cowboy Bebop ou Akira qui, pour leur part, restent des univers « fermés » dans lequel le spectateur s'enferme pour se vider la tête et, peut-être (?), se réfugier, fuir. Evangelion, précisément, lutte contre cet enfermement, entrouvre la lucarne et essaye, tant bien que mal, de faire voir le ciel, le vrai.

Et la série montre beaucoup plus...
Naturellement, Evangelion ne doit pas uniquement son succès à la qualité de sa logique. La série fut, à l’origine, littéralement pensée comme un piège à otaku. La première moitié des 26 épisodes vise ainsi avant tout à créer de l’addiction afin de rendre le message final et la déconstruction de la totalité des repères de la culture otaku d’autant plus percutant(e). D’où : humour bon enfant, harem de bombes sexuelles plus ou moins dénudées tournant bizarrement autour du looser de service, pingouin à peluches (car il ne faudrait pas oublier que la vente de goodies, c’est plus de la moitié des revenus générés par une série, surtout lorsqu’on a affaire à des milliers d’otaku collectionneurs obsessionnels), etc. (la suite : mort, immobilisme, lâcheté, peur, bassesse...).

Après les Tortues Ninja, donc.
En plus de ces différents éléments, habituels, pour les premiers tout du moins, dans le paysage de l’animation japonaise, Evangelion fut à l’époque une révolution en termes d'animation, de rythme ; même aujourd'hui le maître reste inégalité. A l'époque de Gundam et de Dragon Ball Z, la série fut décriée, à raison, pour sa violence (d’autant plus qu’elle était diffusée après les Tortues Ninja, ce qui fut la cause d’une guerre ouverte entre la Gainax et Tokyo TV, qui censura la première version de l’épisode 25, qui constitue aujourd’hui la première partie de The End of Evangelion !). Des hectolitres de sang giclent des géants qui s'affrontent au cours de combats d'une violence totalement inédite à l’époque et qui me donne encore, plus de 10 ans après mon premier visionnage, des frissons. Au-delà de cet aspect des choses pourtant, la série a plus encore marqué les esprits par ses personnages, tous plus torturés et travaillés les uns que les autres (la série est très réputée pour la finesse de son analyse de la psychologie de ses personnages...), et par son rythme, haché et bizarre, alternant plans fixes, lents, morts, dignes parfois de Gus Van Sant, avec en fond sonore le bruit obsédant et entêtant des cigales, et scènes hallucinantes de psychodrames incompréhensibles, de tension ou de violence pure et simple.

Rei, tout simplement.
Aujourd'hui, Evangelion reste une référence tant en matière de profondeur et de finesse qu'en matière de mise en scène ; certains plans sont à jamais gravés dans l'esprit de ceux qui aimèrent cette série, et ils sont nombreux. Citons pêle-mêle le deuxième éveil de l'Eva 01, le combat dans le GQ de la NERV, Shinji sur le quai de la gare, prêt à s'en aller pour toujours, Toji (incroyable… pour l'époque, pour le publique,…) ou encore Rei, tout simplement. Par sa maîtrise impressionnante de la tension, des enjeux, de la gravité et du rythme en effet, Anno a réussi à donner à chaque plan une saveur, un goût bien à lui que l'on oublie difficilement et vers lequel on revient toujours avec plaisir ; et c'est là qu'achève de se creuser le fossé totalement infranchissable qui sépare Evangelion d'autres bonnes séries comme Code Geass, Elfen Lied, Cowboy Bebop, etc., qui à défaut d'avoir la profondeur, la maturité et l'intelligence du maître, ne peuvent qu'espérer, en vain, l'égaler un jour.

A titre de conclusion, j’ajoute que le « phénomène Evangelion » a pris, avec le temps, une telle ampleur que l’on ne peut que constater avec cynisme que Anno, tout en voulant soigner son public, a réussi à créer la pire drogue dure de toute l’histoire de la japanimation. Car Evangelion, c’est désormais aussi un business hallucinant : un musée (avec la tête de l’Eva 01 grandeur nature), l’aile d’un parc d’attraction, plus d’un milliard de dollars engrangés, et ainsi de suite. A titre d’anecdote, de bon exemple de démesure et de dernier mot, je cite NegeNerv :

Victime de son succès, le magasin Lawson (ligne de supérettes) dédié à Evangelion n'aura ouvert que trois jours.

Quelques jours seulement après l'ouverture de ses portes, le magasin Lawson entièrement consacré à Evangelion est déjà contraint de fermer ses portes. Au final, il n'aura même pas pu rester ouvert une semaine entière. La raison de cette fermeture prématurée est assez éloquente : le magasin a tout simplement été victime de son succès ! Dès l'annonce de l'ouverture du magasin, des milliers d'otaku se sont rués à l'assaut du magasin, situé à Hakone, site de la ville-forteresse de Tokyo-3 dans la série. L'afflux de visiteurs fut tel qu'il a provoqué un désordre incroyable dans les rues de la ville. Embouteillages, stationnements en double file ou dans des propriétés privées, etc.

Les nuisances provoquées par l'arrivée massive des clients ont certainement été sous-estimées et ont largement dépassé les attentes. Face à ces nuisances incessantes et devant le nombre grandissant des plaintes de la part des habitants de la ville, la firme Lawson, après avoir lancé plusieurs messages d'avertissements et d'appels au calme, a préféré fermer les portes du magasin, et a annoncé l'annulation de cette campagne publicitaire destinée à promouvoir la sortie DVD et BR de Evangelion : 2.22 You Can (Not) Advance. Il semble donc que cette fermeture soit définitive...

dimanche, août 01, 2010

Existentialisme et coiffure

The Man who wasn't there - Joel & Ethan Coen, 2001



Il est des hommes et des femmes qui font, à un tournant important, un mauvais choix, et qui en pâtissent ensuite toute le reste de leur vie. Le cinéma des frères Coen en est rempli et The Barber, dont le titre original se traduirait par L'Homme qui n'était pas là, n'y fait pas exception. En effet, ce titre caractérise parfaitement la caractéristique principale de la personnalité du "héros" de ce film. Héros entre guillemets car personne n'est moins un héros qu'Ed Crane qui, au départ, n'est qu'un coiffeur ordinaire dans le salon de son beau-frère, marié et sans enfants. Sa femme le trompe avec son patron, "Big Dave". Mais quand, un jour, un commercial peu recommandable lui propose une opportunité de tout quitter (en investissant 10 000$ dans son affaire de nettoyage à sec), il décide de gagner cet argent en faisant chanter anonymement "Big Dave".

Tout se passe jusque ici comme dans n'importe quel polar, on ne s'en doute pas une seconde, on sait la fratrie passée maître dans cet art difficile (on se souvient que Miller's Crossing avait été un énorme succès critique). Comme dans un polar donc, Ed Crane ne s'en sortira pas si facilement, on sait que la tentative d'ascension sociale par l'escroquerie ne mène jamais loin. On ne se doutait quand même pas qu'elle irait jusqu'à ce point détruire le petit univers d'Ed Crane.

Mais revenons d'abord sur cette absence dont fait mention le titre. Certains la verraient simplement comme appartenant au même champ lexical que "taciturne", ils se trompent. Camusienne en reine, cette absence est la même que celle du personnage principal de L'Étranger, absence au monde ainsi qu'à soi. Typiquement, elle se caractérise par un manque de logique dans les actes commis par celui qui en est pourvu. Par exemple, elle se manifeste dans le film durant la séquence charnière. Après une soirée trop arrosée chez de la famille, Ed Crane ramène sa femme complètement saoule jusqu'à leur maison, la couche et commence un monologue sur la manière dont ils se sont connus. Il est interrompu dans ce monologue par un appel "Big Dave" l'appelant pour lui donner rendez-vous dans son bureau, ayant découvert que c'était de lui que venait le chantage. Il s'en suit une confrontation entre les deux personnages qui s'achèvera tragiquement, par l'assassinat accidentel de "Big Dave" par Ed Crane. Pourtant, ce dernier, ayant quitté le lieu du crime, reprendra comme si de rien n'était son monologue sur sa femme.

C'est cette même absence qui l'entraînera ensuite à ne pas se dénoncer quand sa femme se trouvera accusée du meurtre. Acte peu compréhensible (on peut ici se souvenir de l’avocat, répétant à l’envi que, plus on regarde de près, moins on comprend), d'autant plus qu'à côté il met son beau-frère sur la paille pour payer le plus cher des avocats de la côte ouest et qu'il n'hésitera pas à tout confesser à l'avocat dès que celui-ci lui demande ce qui s'est passé. Ni sa femme ni son beau-frère n'en réchapperont, elle se suicidera en prison juste avant le début de son procès, lui finira ruiné et alcoolique.

Il est de toute manière, à ce moment-là, déjà bien trop intéressé par la belle jeune fille du voisin, découvert lors d'une soirée, jouant magnifiquement du piano. Il voit sans doute en elle son seul espoir de sauver les meubles, de rendre au monde une bonne action. Il lui rêve une grande carrière musicale, l'emmène assister à des auditions, qui ne donneront rien. Le film quittera parfois Camus pour rejoindre Kafka. Idéalement quand, sur son pallier, il trouvera la veuve de "Big Dave", présence morte lui avouant une histoire absurde d’extraterrestres ayant enlevé son mari, inquiétante étrangeté du quotidien. Arrêté pour le meurtre du commercial (qu'il n'a pas commis), il est rapidement condamné à mort, criminel parce qu’ordinaire. Enfin rattrapé, il errera dans l’enceinte de la prison, comme déjà mort et oublié de tous, absent aux autres. Dans la pièce blanche où trône la chaise électrique, sa dernière pensée ira à sa femme, à son espoir de la retrouver, de pouvoir lui dire tout ce qu’il est impossible de dire avec des mots. For he was just a stranger, this barber.

mardi, juillet 27, 2010

Soigner le mal par le mal (ou en tout cas essayer)


99 francs - Jan Kounen, 2007


Avec 99 francs, il faut commencer par la fin et comprendre dès le début que tout cela n'est qu'une arnaque. Le film s'amuse à dénoncer la publicité tout en revêtant lui-même la forme d'une publicité. Il devient ainsi l'excès qu'il dénonce. Comment pousser jusqu'à son paroxysme ce principe, comment devenir ce qu'il y a de plus infecte dans la publicité ? La solution est simple : se donner bonne conscience !

Et là, bingo. Quoi, comment ça ? Auriez-vous oublié le message de fin ? Petit rappel pour vous aider : "Chaque année, le budget mondial dépensé en publicité s'élève à 500 milliards de dollars. Une étude de l'ONU estime que pour réduire de moitié la faim dans le monde 10 % de cette somme suffirait."

Alors à quoi est-ce que tout cela rime ? Est-ce que le réalisateur a voulu dégoûter le spectateur en poussant ainsi le principe du film qui exemplifie, qui incarne ce qu'il dénonce jusqu'à son paroxysme ? Est-ce qu'en réunissant dans 99 francs tout ce qu'il y a de pire dans la publicité, Jan Kounen a voulu botter, pour ainsi dire, le cul du spectateur ?

Difficile de répondre à cette question ! D'autant plus que le coté écœurant du film ne s'arrête pas là. Pire encore que de voir cet infâme message de pub s'afficher à la fin du film, il y a le personnage incarné par Jean Dujardin, qui résume à lui seul tout ce que l'intellectualisme franchouillard a de pire : l'espèce de conscience qu'il prétend avoir de sa propre misère, de sa propre pauvreté et du point auquel il est, en somme, ridicule.

Notre très cher Octave passe ainsi le plus clair de son temps à faire n'importe quoi, à en avoir conscience et à le dire. C'est son cynisme, et à travers son cynisme, c'est le film tout entier qui se regarde lui-même comme objet publicitaire infâme.

Là où le bât blesse, c'est que l'on ne sait jamais vraiment si Jan Kounen est bête ou non. A-t-il naïvement voulu dénoncer la publicité au travers de ce message de fin ridicule, ou a-t-il vraiment voulu exemplifier ce qu'il y a de pire dans la publicité (cette espèce de manière de se donner bonne conscience ? ce cynisme qui se croit intelligent ?) ? Est-il lui-même l'exemple naïf de ce qu'il dénonce, a-t-il réussi à se faire prendre à son propre piège, ou au contraire est-il un fin stratège qui a réussi, en somme, à "boucler la boucle" de l'imbécilité publicitaire ?

A défaut de pouvoir apporter une réponse à ces questions aussi, on peut savourer l'ironie de la situation : s'il est vraiment devenu l'imbécile qu'il dépeint à grand traits avec le personnage d'Octave (ce dont, personnellement, je ne doute pas un seul instant), alors Jan Kounen a bel et bien réussi son pari en poussant, malgré lui certes, le principe du "j'exemplifie ce que je dénonce, pour mieux le dénoncer" jusqu'à son paroxysme.

Et à défaut d'apprécier, de se délecter, de savourer et d'adorer l'ironie de la situation (qu'un film soit bon par et pour l'imbécilité de son auteur, c'est quand même rare !), on peut toujours se contenter d'apprécier ce film pour ce qu'il est : un objet bizarre et déjanté qui offre, pour peu que l'on arrive à passer outre ce côté "bobo-intello" parfaitement assumé, de bons moments.

mercredi, janvier 27, 2010

Un film parfait

Gerry - Gus Van Sant, 2004


Gerry est un film pur. Deux jeunes hommes vont dans le désert et s'y perdent. Ils marchent pendant des jours en traversant des décors qui, plutôt que d'être montrés sous leur meilleur jour esthétique, sont au contraire dépouillés et dévoilés au spectateur sous leur jour le plus pur, et par conséquent le plus dur. Point d'effets de lumière magnifiques ou de perspectives fabuleuses : en lieu et place de cela Gus Van Sant nous offre la beauté du désert telle qu'elle se dévoile au voyageur plutôt que telle qu'elle se montre sur une carte postale. Cela donne une sensation à la fois vertigineuse et troublante, que la musique d'Arvo Pärt magnifie au point de nous donner l'impression d'assister à un événement sublime.

Dans un cadre aussi dépouillé, chaque événement devient à la fois irremplaçable, unique, précieux. Chaque silence, regard, chaque mot devient un joyau que l'on cherche à chérir et entretenir, à comprendre et à charger d'un sens toujours plus lourd, dans un mécanisme de mise en abîme dans lequel il est très facile de se perdre. Ce serait pourtant une erreur : le lien qui unit les deux amis est si profond que la parole n'a plus besoin que de surgir par bribes, par allusions et références à un monde qu'ils se sont construits et qu'ils habitent, monde auquel le spectateur restera toujours étranger pour la simple et excellente raison que Gus Van Sant ne nous donne à aucun moment les moyens de le pénétrer.

Le sentiment que peut éprouver le spectateur de se perdre dans un monde fait de questions auxquelles il a naturellement tendance à tâcher de répondre n'est ainsi qu'une illusion qu'il n'est possible de dissiper qu'en comprenant qu'il n'y a aucune réponse à donner : l'univers de Gus Van Sant est impénétrable, et l'objectif de Gerry n'est pas de dire quelque chose au spectateur, mais de lui faire éprouver quelque chose. Mais quoi ?

Dès lors qu'il devient impossible à comprendre à partir de lui-même, le drame que traversent les personnages devient une métaphore, l'image d'un sens plus simple et essentiel que sa mise en scène ne le laisse entendre au premier abord : Gerry n'est rien d'autre que la longue et patiente mise en scène d'une rupture radicale et définitive. Le personnage incarné par Matt Damon sort du désert brisé, changé à tout jamais.

Avec quoi a-t-il rompu ? Qui est « Gerry » ? Que s'est-il exactement passé, lors de cet instant fatal, à la fin du film ? A-t-il fallu que cela arrive pour que Gerry retrouve la route de la civilisation ? Tâcher de le savoir est déjà une erreur : Gerry est une expérience que Gus Van Sant veut faire vivre au spectateur, et rien d'autre.

Oui mais voilà : si Gerry, par son radicalisme, son absence totale de concessions, n'est qu'une expérience visuelle, émotionnelle, auditive, l'expérience d'une ambiance, d'un vide qui, car il suggère sans jamais rien dire, ne peut que renvoyer à soi-même, alors il doit être évalué en tant que tel, et personnellement je ne me suis jamais, ô grand jamais, autant ennuyé devant un film.

Évaluer sur le plan intellectuel (plan sur lequel je peux apprécier Gerry) un film qui se situe lui-même, d'une manière aussi parfaite et radicale, sur le plan émotionnel, esthétique, revient à mon sens à le trahir et à lui manquer de respect : je n'ai, somme toute, jamais autant aimé détester un film.

lundi, janvier 25, 2010

One Last Trip

Zombieland - Ruben Fleischer, 2009



Que faire du zombie ? Son état de décomposition ontologique a désormais infecté jusque les films dans lesquels il joue le rôle principal. Le mort-vivant n'est plus qu'une pauvre âme en peine qui erre dans des longs-métrages souvent lourdauds, qui semblent le porter comme un fardeau. Même son illustre Père George Romero ne sait plus quoi en faire, revenant durant cette décennie pour bafouiller son manuel du zombie dans le pénible Land of the Dead ou singer le « Blair Witch movie » avec l'affreux Diary of the Dead. Durant ces mêmes années 2000, seuls deux films avaient réussi à apporter un léger vent frais au genre. D'un côté, le délirant Shaun of the Dead, qui trouvait l'étalonnage parfait entre parodie et hommage, tout en réactualisant la parabole politique. De l'autre, le nerveux remake de Zombie par Zack Snyder : L'Armée des morts, où l'urgence remplaçait la découverte du paradis consumériste (et où, par voie de conséquence, les zombies devennaient plus violents et se mettaient même à courir).

Ces deux films là posaient l'essentiel de ce que pouvait dire le zombie sur notre société à l'aube du 21ème siècle. Depuis, le film de zombie est devenu has-been. Jadis objet de culte, il est remplacé dans le coeur des jeunes par le vampire, plus classe et plus sombre. Le réalisateur Ruben Fleischer, qui fait ici ses débuts au cinéma après avoir notamment officié au Saturday Night Live, n'est pas dupe quand il se retrouve aux mains d'un projet de films de morts-vivants, il sait que le genre est en déperdition profonde et que le zombie n'en a plus pour très longtemps : la date de péremption est proche. D'autant plus conscient de l'épée de Damoclès au dessus de sa tête qu'il n'est pas lui-même fan du genre, il tente avec ce film un dernier coup, hommage en forme de délirante fuite en avant.

Road-movie parce qu'il n'y a plus qu'à rouler et à accélérer le rythme pour sauver le genre, Zombieland oublie pourtant presque le zombie durant une bonne moitié du film : tout le monde sait qu'il est là, mais personne n'en a vraiment peur. De Colombus (Jesse Eisenberg) et sa liste de règles au second couteau un peu rustre qui pense avoir la tuerie de morts-vivants dans la peau (Woody Harrelson) jusqu'au caméo de Bill Murray, se déguisant en zombie pour ne pas être reconnu quand il se ballade dans la rue, tous parlent du zombie comme s'il était un personnage extérieur, presque absent, juste là pour servir de prétexte à de nombreuses blagues. S'il n'est plus là, c'est que, proche de la mort clinique, il ne sert qu’à accentuer ce qui est important : re-fonder une famille (le moteur narratif des deux personnages masculins), flirter avec une jolie fille (ici, Emma Stone) ou s’amuser. Que ce soit en regardant Ghostbusters, en saccageant un magasin ou en multipliant les zombicides, il s'agit de trouver ce qui reste principalement au film de genre quand on oublie le zombie : le fun, l'excitation (celle, justement, du parc d'attractions), la joie toute primale de détruire ces corps presque humains une dernière fois. Avant la prochaine.