jeudi, février 10, 2011

Le silence et la misère

Batalla en el cielo - Carlos Reygadas, 2005



Batalla en el cielo plonge ses protagonistes dans le silence par l'effet de leur misère et fait réagir leurs corps là où leur parole ne peut plus les aider.

La misère tout d'abord, de Marcos qui, par cupidité, a commis l'irréparable (le vol) et a connu un drame (la mort). La misère de Marcos, qui ne s'exprime par aucun mot ni même expression ; lui reste cloîtré dans un silence inexpressif mais dont on ressent pourtant le malaise profond et grave.

La misère de Ana, dont Marcos s'occupe depuis sa plus tendre enfance et qui vend son corps, qui ne sait pas comment le réconforter et qui, à défaut de pouvoir parler, de pouvoir réconforter, laisse son corps, objet de fantasme, faire ce qu'elle a désappris à faire autrement : apporter un peu de sérénité à un vieil ami, sorte de chant du cygne dont on devine dès la première seconde qu'il va mal se terminer.

Marcos, encore, enfermé dans une spirale infernale et totalement incapable de s'extraire de son mal-être, au destin funeste et aux fantasmes éveillés par la douceur de l'adieu d'une vieille amie, qui tâchant de garder ce qu'il aime, détruit ce qu'il veut, qui par amour, tue pour ne pas avoir à perdre ; paradoxe vivant, Marcos illustre la douleur de passions trop fortes, la douleur d'un malaise trop grand qu'il ne sait ni comprendre, ni assumer, ni appréhender, une douleur qui le traverse de part en part et qui le dévaste en silence, car il ne sait pas et n'a jamais su s'exprimer, car là où l'intelligence devrait prendre le relais, pour lui seul le corps subsiste, et c'est son corps qu'il finira par torturer au cours d'une tentative de rédemption vaine et ne pouvant s'achever que dans la mort.

Batalla en el cielo, c'est l'image triste de la misère portée à l'écran, une misère dont Reygadas montre bien l'origine sociale, car ici tous sont logés à la même enseigne (aspect auquel il admet s'intéresser dans le commentaire audio), même si pas forcément affectés de la même manière, mais qu'il dévoile sous son jour banal. L'image est aride, sèche, le rythme est lent, l'ensemble est décalé, oscillant entre crudité et vulgarité sans jamais commettre, en dépit de scènes pouvant clairement choquer, de réelle faute de goût : je n'ai pas été transporté, retourné, mais je comprendrais que l'on puisse l'être et j'attends la suite avec intérêt.

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