dimanche, août 01, 2010

Existentialisme et coiffure

The Man who wasn't there - Joel & Ethan Coen, 2001



Il est des hommes et des femmes qui font, à un tournant important, un mauvais choix, et qui en pâtissent ensuite toute le reste de leur vie. Le cinéma des frères Coen en est rempli et The Barber, dont le titre original se traduirait par L'Homme qui n'était pas là, n'y fait pas exception. En effet, ce titre caractérise parfaitement la caractéristique principale de la personnalité du "héros" de ce film. Héros entre guillemets car personne n'est moins un héros qu'Ed Crane qui, au départ, n'est qu'un coiffeur ordinaire dans le salon de son beau-frère, marié et sans enfants. Sa femme le trompe avec son patron, "Big Dave". Mais quand, un jour, un commercial peu recommandable lui propose une opportunité de tout quitter (en investissant 10 000$ dans son affaire de nettoyage à sec), il décide de gagner cet argent en faisant chanter anonymement "Big Dave".

Tout se passe jusque ici comme dans n'importe quel polar, on ne s'en doute pas une seconde, on sait la fratrie passée maître dans cet art difficile (on se souvient que Miller's Crossing avait été un énorme succès critique). Comme dans un polar donc, Ed Crane ne s'en sortira pas si facilement, on sait que la tentative d'ascension sociale par l'escroquerie ne mène jamais loin. On ne se doutait quand même pas qu'elle irait jusqu'à ce point détruire le petit univers d'Ed Crane.

Mais revenons d'abord sur cette absence dont fait mention le titre. Certains la verraient simplement comme appartenant au même champ lexical que "taciturne", ils se trompent. Camusienne en reine, cette absence est la même que celle du personnage principal de L'Étranger, absence au monde ainsi qu'à soi. Typiquement, elle se caractérise par un manque de logique dans les actes commis par celui qui en est pourvu. Par exemple, elle se manifeste dans le film durant la séquence charnière. Après une soirée trop arrosée chez de la famille, Ed Crane ramène sa femme complètement saoule jusqu'à leur maison, la couche et commence un monologue sur la manière dont ils se sont connus. Il est interrompu dans ce monologue par un appel "Big Dave" l'appelant pour lui donner rendez-vous dans son bureau, ayant découvert que c'était de lui que venait le chantage. Il s'en suit une confrontation entre les deux personnages qui s'achèvera tragiquement, par l'assassinat accidentel de "Big Dave" par Ed Crane. Pourtant, ce dernier, ayant quitté le lieu du crime, reprendra comme si de rien n'était son monologue sur sa femme.

C'est cette même absence qui l'entraînera ensuite à ne pas se dénoncer quand sa femme se trouvera accusée du meurtre. Acte peu compréhensible (on peut ici se souvenir de l’avocat, répétant à l’envi que, plus on regarde de près, moins on comprend), d'autant plus qu'à côté il met son beau-frère sur la paille pour payer le plus cher des avocats de la côte ouest et qu'il n'hésitera pas à tout confesser à l'avocat dès que celui-ci lui demande ce qui s'est passé. Ni sa femme ni son beau-frère n'en réchapperont, elle se suicidera en prison juste avant le début de son procès, lui finira ruiné et alcoolique.

Il est de toute manière, à ce moment-là, déjà bien trop intéressé par la belle jeune fille du voisin, découvert lors d'une soirée, jouant magnifiquement du piano. Il voit sans doute en elle son seul espoir de sauver les meubles, de rendre au monde une bonne action. Il lui rêve une grande carrière musicale, l'emmène assister à des auditions, qui ne donneront rien. Le film quittera parfois Camus pour rejoindre Kafka. Idéalement quand, sur son pallier, il trouvera la veuve de "Big Dave", présence morte lui avouant une histoire absurde d’extraterrestres ayant enlevé son mari, inquiétante étrangeté du quotidien. Arrêté pour le meurtre du commercial (qu'il n'a pas commis), il est rapidement condamné à mort, criminel parce qu’ordinaire. Enfin rattrapé, il errera dans l’enceinte de la prison, comme déjà mort et oublié de tous, absent aux autres. Dans la pièce blanche où trône la chaise électrique, sa dernière pensée ira à sa femme, à son espoir de la retrouver, de pouvoir lui dire tout ce qu’il est impossible de dire avec des mots. For he was just a stranger, this barber.

3 commentaires:

  1. Miller's Crossing a été tout ce que tu veux, sauf un énorme succès, il vient après Arizona Junior, qui fonctionne très bien pour un film indépendant, coûte plus cher et rapporte moins d'un quart des recettes de ce dernier.
    Sinon, le fait de ne pas se dénoncer pour sa femme est très logique dans le film, surtout si on tient compte de l'extrême passivité du personnage face aux événements....

    Torpenn

    RépondreSupprimer
  2. Quand je parle de succès pour Miller's Crossing, c'est de succès critique, je devrais en effet le préciser.
    Quant à sa dénonciation, je trouve cela peu compréhensible, étant donné la rapidité avec laquelle il avoue à l'avocat qu'il est le coupable, quelques minutes plus tard. Mais ton interprétation vaut aussi.

    RépondreSupprimer
  3. quel débat mais c'est très intéressant !

    RépondreSupprimer