mercredi, janvier 27, 2010

Un film parfait

Gerry - Gus Van Sant, 2004


Gerry est un film pur. Deux jeunes hommes vont dans le désert et s'y perdent. Ils marchent pendant des jours en traversant des décors qui, plutôt que d'être montrés sous leur meilleur jour esthétique, sont au contraire dépouillés et dévoilés au spectateur sous leur jour le plus pur, et par conséquent le plus dur. Point d'effets de lumière magnifiques ou de perspectives fabuleuses : en lieu et place de cela Gus Van Sant nous offre la beauté du désert telle qu'elle se dévoile au voyageur plutôt que telle qu'elle se montre sur une carte postale. Cela donne une sensation à la fois vertigineuse et troublante, que la musique d'Arvo Pärt magnifie au point de nous donner l'impression d'assister à un événement sublime.

Dans un cadre aussi dépouillé, chaque événement devient à la fois irremplaçable, unique, précieux. Chaque silence, regard, chaque mot devient un joyau que l'on cherche à chérir et entretenir, à comprendre et à charger d'un sens toujours plus lourd, dans un mécanisme de mise en abîme dans lequel il est très facile de se perdre. Ce serait pourtant une erreur : le lien qui unit les deux amis est si profond que la parole n'a plus besoin que de surgir par bribes, par allusions et références à un monde qu'ils se sont construits et qu'ils habitent, monde auquel le spectateur restera toujours étranger pour la simple et excellente raison que Gus Van Sant ne nous donne à aucun moment les moyens de le pénétrer.

Le sentiment que peut éprouver le spectateur de se perdre dans un monde fait de questions auxquelles il a naturellement tendance à tâcher de répondre n'est ainsi qu'une illusion qu'il n'est possible de dissiper qu'en comprenant qu'il n'y a aucune réponse à donner : l'univers de Gus Van Sant est impénétrable, et l'objectif de Gerry n'est pas de dire quelque chose au spectateur, mais de lui faire éprouver quelque chose. Mais quoi ?

Dès lors qu'il devient impossible à comprendre à partir de lui-même, le drame que traversent les personnages devient une métaphore, l'image d'un sens plus simple et essentiel que sa mise en scène ne le laisse entendre au premier abord : Gerry n'est rien d'autre que la longue et patiente mise en scène d'une rupture radicale et définitive. Le personnage incarné par Matt Damon sort du désert brisé, changé à tout jamais.

Avec quoi a-t-il rompu ? Qui est « Gerry » ? Que s'est-il exactement passé, lors de cet instant fatal, à la fin du film ? A-t-il fallu que cela arrive pour que Gerry retrouve la route de la civilisation ? Tâcher de le savoir est déjà une erreur : Gerry est une expérience que Gus Van Sant veut faire vivre au spectateur, et rien d'autre.

Oui mais voilà : si Gerry, par son radicalisme, son absence totale de concessions, n'est qu'une expérience visuelle, émotionnelle, auditive, l'expérience d'une ambiance, d'un vide qui, car il suggère sans jamais rien dire, ne peut que renvoyer à soi-même, alors il doit être évalué en tant que tel, et personnellement je ne me suis jamais, ô grand jamais, autant ennuyé devant un film.

Évaluer sur le plan intellectuel (plan sur lequel je peux apprécier Gerry) un film qui se situe lui-même, d'une manière aussi parfaite et radicale, sur le plan émotionnel, esthétique, revient à mon sens à le trahir et à lui manquer de respect : je n'ai, somme toute, jamais autant aimé détester un film.

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