mardi, juin 24, 2008

En rejoignant Jésus

Le Chant des Oiseaux (El Cant dels Ocells) - Albert Serra, 2008


Des personnes âgées dans un désert, trois vieux errant dans des vallées escarpées, un pays "soi-disant plat" se plaint l'un d'entre eux, une couronne sur la tête comme les deux autres. Pendant ce temps, une femme et un homme vivent dans des ruines, ils échangent des banalités, elle en catalan, lui en hébreu. Au fur et à mesure, on comprend : la longue marche tortueuse de ces trois, c'est avec l'apparition de l'ange Gabriel(le), féminisé pour l'occasion, qu'elle prend son sens. Le fils du divin est né, leur rôle sera d'aller jusqu'à Lui, Lui offrir leur présence et des présents. Toutefois, dans la tête du réalisateur Albert Serra, cette recherche de l'étable de Bethléem n'est pas aussi aisée qu'on pouvait le penser en lisant les dix lignes du passage biblique. Comme pour son premier film, Honor de Cavalleria, le catalan s'applique ici à inscrire son film entre les lignes des grands écrits : d'abord entre celles du premier roman moderne, et maintenant entre celles du premier de tous.

Et tout comme Quichotte n'était l'excité de tous les instants que l'on aurait pu penser en lisant Cervantès, les rois mages n'arrivent pas au chevet de Marie facilement. Il s'agira bien plutôt pour eux d'une interminable voyage dans le désert de Galilée. Pourtant, il n'y a jamais de dramatisation d'un événement, tout ce qui se passe dans ce film est anti-spectaculaire au possible. On se contente souvent d'apprécier la merveilleuse beauté des vallées (filmées avec l'un des plus beaux noir et blanc qu'il m'ait été donné de voir), le son d'un oiseau ou du vent, même le silence est majestueux. Le corollaire à cela, c'est l'allongement des plans, comparables souvent à quelque tableau abstrait jouant sur les nuances de gris.

Faire durer au maximum l'espace entre deux noirs, c'est aussi ressentir le temps qui passe, comme pour justifier la dose inévitable d'absurde qui en provient. Les trois rois entament souvent dans un plan-séquence la traversée d'une plaine ou l'ascension d'une colline, et alors qu'on les croyait disparus du plan pour toujours et que l'on croyait voir les dernières secondes d'existence de celui-ci, ils réapparaissent pour traverser cette même colline ou plaine dans un autre sens. Cela est encore plus prégnant lors des phases dialoguées, où se fait même ressentir une certaine dose d'humour. En effet, peu chrétiens, les mages ne s'empêchent jamais de pester contre Gabriel(le) et son étoile du berger, introuvable dans le ciel constamment nuageux, ils pesent également contre la topographie même du désert galiléen. Il n'est même pas rare de les voir se chamailler, une fois à cause d'un endroit trop inconfortable et trop serré pour y dormir sereinement, une autre quand il s'agit de choisir de franchir une montagne ou de ne pas le faire. Impossible de ne pas penser à Beckett ou à Jarry, surtout quand on sait l'amour que porte le réalisateur au théâtre.

Et puis soudain, les mages arrivent au but alors qu'on n'y croyait plus, ils s'agenouillent, s'allongent même, face à Marie qui porte l'Enfant-roi entre ses bras, le plan se fige presque et une musique solennelle, grave, empreinte de grandeur mystique, s'élève, montrant enfin au grand jour les intentions les plus profondes d'Albert Serra : nous faire endurer une longue absurdité triviale pour faire ensuite éclater le spirituel, le sacré, la beauté radicalement noble se cachant dans le monde. Le Catalan dit lui-même qu'il a "l'intuition qu'il y a derrière ces images quelque chose de poétique". On irait plus loin : cette nouvelle forme de rêve, d'émerveillement que l'on retrouve chez Weerasethakul ou Kawase, voilà ce qui impose Serra au panthéon des grands réalisateurs contemporains.

2 commentaires:

  1. yo
    pas encore lu tes messages
    c'est donc fait : tout MC s'est retrouvé sur la blogosphère

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  2. toujours top tes articles, bien résumé comme d'habitude.

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